1940-Cressonsacq

La tragédie de Cressonsacq

par Jean-Yves Bonnard


Le 7 juin 1940, les forces allemandes enfoncèrent la ligne Weygand. La 4e Division d'Infanterie Coloniale fit face aux troupes de la Wehrmarcht sur le plateau picard. Sous la pression allemande, les 16e et 24 Régiment de Tirailleurs Sénégalais durent se replier.

Le massacre du Bois d'Eraine
Le 9 juin, vers 19 heures, le village d'Erquinvillers se trouva encerclé par les troupes allemandes. Le commandant Bouquet, du 24e Régiment de Tirailleurs Sénégalais, et le capitaine Speckel, commandant le 2e Bataillon du 16e RTS, décidèrent de se replier vers le sud avec les derniers éléments de leurs unités et gagnèrent le Bois d'Eraine dont le couvert végétal devait les mettre à l'abri de l'aviation.
Cachés dans le bois où il a passé la nuit du 9 au 10 juin, le groupe fut repéré tandis qu'un tirailleur cherchait à trouver de l'eau.
Ce 10 juin, vers 19h, le groupe se trouva encerclé par un détachement du régiment Grossdeutschland de la Wehrmacht (la 10e compagnie). Un échange de coups de feu s'en suivit au cours duquel l'aspirant Méchet fut tué. Faits prisonniers, les soldats français furent conduits à 1500m de là, à la ferme d'Eloge, où le corps de l'aspirant fut enterré, à proximité.
Un témoignage retranscrit par Le Progrès de l'Oise en 1957 fait le récit de la tragédie : "Un officier allemand survient alors; il brandit un coupe-coupe saisi sur un Sénégalais; il vomit des injures et le tri commence d'un côté les blancs, de l'autre les noirs. Le Commandant Bouquet n'ignore pas quel sort sera fait à des Tirailleurs. Crânement il se dresse, prend leur défense, discuté pied à pied. Le Capitaine Speckel intervient à son tour, cet Alsacien crie en allemand sa fierté de commander ceux que l'on appelle "des sauvages". Alors, tandis que l'on exécute les tirailleurs un à un, les officiers sont emmenés. nul ne les reverra plus vivants."
Il semble que les officiers français aient été exécutés à leur tour à la corne nord du bois d'Eraine où leur corps fut enterré dans une fosse.
Tous les soldats africains faits prisonniers à la ferme d'Eloge furent massacrés au sud du Bois d'Eraine. Selon Gaston Bousson, soldat du 42e BCP fait prisonnier le jour-même, 64 tirailleurs du 26e RTS auraient été exécutés auprès d'une fosse commune qu'ils avaient creusée.
Les sous-officiers et hommes de troupe d'origine européenne, quant à eux, regroupés dans une étable de la ferme d'Eloge, furent emmenés le 11 juin à Saint-Just-en-Chaussée avant d'être conduits en captivité en Allemagne dans un stalag. Leur témoignage permit de reconstituer le déroulé de cette journée tragique.

La découverte des corps

Durant l'automne 1940, les familles des disparus entamèrent des recherches auprès de l'Armée française et de la Croix Rouge, comme ce fut le cas pour la famille Planchon. Certains anciens soldats tentèrent aussi de retrouver la trace de leurs camarades tués sur le champ de bataille.

A Cressonsacq, la fosse commune des officiers fut découverte par un agriculteur, Valère Guizelin. Une croix fut apposée: "ici, sept corps".

En juin 1941, la municipalité de Cressonsacq obtint de l'occupant allemand l'autorisation d'ouvrir la fosse du bois d'Eraine

L'exhumation menée le 11 juin suivant sous la surveillance d'un officier allemand de la kommandantur de Compiègne permit de mettre au jour, sous un faible épaisseur de terre, les corps de huit officiers français. Côte à côte, le commandant Bousquet, les capitaines Speckel et Ris, les lieutenants Brocart, Roux et Planchon, le sous-lieutenant Rotelle sur lesquels était étendu en travers le corps du lieutenant Erminy, sans doute abattu ultérieurement, probablement après une tentative d'évasion. Si deux corps étaient en bras de chemise, "tous avaient la tête fracassée par balle, coups paraissant tirés par derrière, balle probablement de gros calibre" comme le précisera un rapport.

Plus loin, deux corps de tirailleurs furent découverts, Leno Faya et Aka Tano, sans doute exécutés après avoir creusé la fosse commune.

Dès le 22 juillet 1941, une cérémonie religieuse et civile marqua l'inhumation officielle dans le cimetière communal des corps trouvés dans la fosse.

A cette occasion, Jean Sauvajol, neveu du lieutenant Planchon déclama un sonnet intitulé Pax:

A l’orée du grand Bois, sous les frondaisons calmes

Ils ont dormi un an, côte à côte, ignorés

Et la houle des blés, par les vents balancés

Chaque soir les berçait d’une feuille de palme.


Nos pensées angoissées les cherchaient ardemment

Et nos Espoirs têtus, en écartant le Doute

S’obstinaient. Chaque soir aux Croix de notre Route

La Prière montait, long Cri d’Amour Fervent.


Au grand Soleil de Juin, ils nous sont Revenus.

Ils ont cessé enfin d’être des Inconnus.

Et soudain, les voici, plus purs, plus familiers.


Plus vivants même et plus près de Nous que

Jamais. Et leurs yeux apaisés disent dans leur langage

« Pour la Patrie, pour nos petits et pour nos Vieux, Courage ».



Recherches et commémorations d'après-guerre

Peu après la Libération du territoire, des recherches furent entreprises pour retrouver les corps des tirailleurs sénégalais. Le colonel Laboureur, délégué régional des services de recherches des crimes de guerre fut mandaté pour mener les enquêtes dans l'Oise. La gendarmerie trouva, notamment, en 1945, l'emplacement d'une fosse dans une ferme d'Erquivillers où 36 soldats avaient été ensevelis.


Les corps des tirailleurs massacrés au Bois d'Eraine furent regroupés dans la nécropole nationale de Cambronne-les-Ribécourt créée en 1950.


Puis, le 10 novembre 1957, une plaque fut apposée sur une face du monument aux morts de Cressonsacq et inaugurée par l'Amicale de la la promotion Saint-Cyr du Rif (1924-1926) portant le nom du capitaine Speckel.


Aucune autre cérémonie ne semble avoir eut lieu par la suite, jusqu'à l'intervention auprès de la municipalité de Geneviève De Bergh, soeur du lieutenant Roux, s'informant sur une éventuelle commémoration à l'occasion du cinquantième anniversaire du massacre.

Ainsi, une stèle en grès de Francières fut inaugurée en bordure du Bois d'Eraine le 24 mai 1992 pour le cinquante-et-unième anniversaire de la tragédie par la commune de Cressonsacq sous l'égide du maire Jean-Jacques Potelle, enseignant retraité.

Depuis ce jour, chaque année, vers le 10 juin, des commémorations sont organisées par les associations d'anciens combattants, les fédérations des anciens d'Outre-Mer et Troupes de Marine, et l'association Picardie Mémoire laquelle a installé des panneaux explicatifs dans la commune.

Ainsi, le 12 juin 2010, s'est tenue une importante cérémonie à Cressonsacq et à la nécropole de Cambronne-les-Ribécourt, en présence de la Fédération nationale des anciens d'Outre-Mer et anciens combattants des troupes de marine (FNAOM/ACTM) et d'élèves du collège Louise-Michel de Saint-Just-en-Chaussée.


Sources

Champeaux Antoine, Hommage aux tirailleurs sénégalais massacrés au bois d'Eraine, RFI, 1er juillet 2010.

Dutailly Henry (colonel), Sacrifier sa vie pour sauver ses tirailleurs, 17p, 2009.

Jean Sepckel (1904-1940), capitaine au 16e RTS.
Chevalier de la Légion d'honneur, Croix de guerre 1939-1945 avec palme, Croix de guerre des TOE avec palme.

"Officier de grande valeur, qui par sa haute autorité, la droiture de son caractère et son exemple de chaque instant a su faire de son bataillon une unité manoeuvrière de premier ordre et lui imprimer le plus bel esprit offensif. Galvanisant des unité par son énergie personnelle, a obtenu d'elles pendant toute la période du 23 mai au 9 juin 1940, au cours des combats de Fouilloy et de Villers-Bretonneux de magnifiques efforts. Le 9 juin 1940, se trouvant encerclé par un ennemi très supérieur en nombre, a combattu jusqu'à son dernier souffle et est tombé mortellement blessé, faisant le sacrifice de sa vie pour sauver ses tirailleurs".

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Cérémonie religieuse à Cressonsacq le 22 juillet 1941.

Cérémonie inaugurale de la plaque commémorative

à Cressonsacq le 10 novembre 1957. De gauche à droite, un fils du capitaine Speckel, un tirailleur sénégalais rescapé de la tuerie, le maire de Cressonsacq M. Frémont, par ailleurs ancien des troupes coloniales.


Officiers français passés par les armes au Bois d'Eraine, près de Cressonsacq.

BOUQUET Henri Georges Jean

Chef de bataillon du 24e RTS

par Jean-Yves Bonnard


Né le 10 avril 1894 à Montbéliard (doubs), il est le fis du compositeur typographe Jules Pierre François Bouquet et de Marie Louise Gay.

Elève de Saint-Cyr (promotion Croix du drapeau) en 1913-1914.

Engagé volontaire pour huit ans le 22 octobre 1913, il est affecté au 109e RI. Sous-lieutenant le 6 août 1914, lieutenant à titre remporaire le 6 décembre suivant, il est noté disparu le 8 mars 1915 à Notre-Dame de Lorette. Prisonnier de guerre, il est promu lieutenant le 6 août 1916 et rapatrié le 6 décembre 1918.

On le retrouve capitaine au 3e bataillon d'Afrique le 25 décembre 1919, il sert au 1er Régiment de Tirailleurs Sénégalais, au 7e Colonial, au 5e Régiment d'Infanterie Colonial, au 22e Régiment d'Infanterie Colonial, au 24e Régiment de Tirailleurs Sénégalais, au 1er Régiment de Tirailleurs Tonkinois, puis aux 12e, 18 et 24  Régiment de Tirailleurs Sénégalais.

Il est tué le 9 juin 1940 à Cressonsac, en lisière du Bois d'Eraine. Il est inhumé dans la nécropole nationale de Cambronne-lès-Ribécourt, tombe n°18.

Il reçoit la mention Mort pour la France, la Croix de guerre avec palme et la citation: "Le 9 juin 1940 aux environs d'Amiens encerclé par des engins blindés et des détachements d'infanterie portée ennemis, a  regroupé autour de lui les faibles éléments estants de son bataillon et a cherché à s'ouvrir de vive force un assage à travers les lignes adverses. Dirigeant la manoeuvre de la oignée de héros qui lui restait,  a tenu tête pendant 2 heures à l'ennemi permettant ainsi l'écoulement vers l'Oise des divers éléments de la Division. Est mort en martyr de l'honneur militaire, toutes ses munitions puisées sous les feux rapprochés d'un adversaire exaspéré par son héroïque résistance." 

Son nom figure sur la stèle du Bois d'Eraine, à Cressonsacq.


Sources

SHD Arch Caen P30346 - Arch. Aube 3R645 - Mémoire des Hommes.


BROCART Jean Henri Paul

Lieutenant au 16e RTS

par Jean-Yves Bonnard


Né en le 18 avril 1915 à Paris (18e), il est le fils de Charles Eugène Brocart et de Larthe Adèle Jeanne Doyen. Célibataire, il demeure à Aulnay-sous-Bois.

Il est tué le 9 juin 1940 à Cressonsacq.

Il est fait chevalier de la Légion d'honneur et est cité à l'ordre du régiment: "Officier brave et plein d'allant. Le 9 juin 1940, aux environs d'Amiens, se trouvant encerclé par des engins blindés et l’infanterie portée ennemis, s'est joint à une poignée de héros commandée par un chef d'un autre corps et cherchant à percer les lignes adverses, a soutenu pendant plus deux heures une lutte inégale, permettant ainsi à de nombreux éléments de la division de s'écouler vers l'Oise. Toutes munitions épuisées, est mort glorieusement sous les feux rapprochés d'un adversaire exaspéré par son Héroïque résistance".

Il est reconnu Mort pour la France.

Son nom figure sur le monument aux morts d'Aulnay-sous-Bois.


Sources

Mémoire des Hommes.


ERMINY Etienne Joseph

Lieutenant au 24e RTS

par Jean-Yves Bonnard


Né le 15 décembre 1909 à Quillan (Aude), fils de boulanger, ce saint-cyrien de la promotion Mangin  est nommé lieutenant au 24e RTS. Il est abattu le 9 juin 1940 en lisière du Bois d'Eraine à Cressonsacq.

Enterré sur place, ison corps est ensuite rapatrié en 1957 à Quillan. Il reçoit la mention mort pour la France. Il est décoré de la Croix de guerre avec palmes, deux citations à l'ordre de l'Armée. Il est nommé chevalier de la Légion d'honneur à titre posthume. 

Une rue de Quillan porte son nom qui figure sur le monument aux morts du village et sur la stèle de Cressonsacq.


Sources

Mémoire des Hommes.


PLANCHON Marcel Paulin

Lieutenant au 24e RTS

par Jean-Yves Bonnard


Né le 16 décembre 1907 à Lunel (Hérault), il est le fils de Marius Félix Planchon et de Julier Louise Marie Dervieux. Il est marié à Marie Adrienne Valette.

Lieutenant au 24e RTS, il est abattu le 10 juin 1940 en lisière du Boiis d'Eraine, à Cressonsacq.

Son nom figure sur une plaque commémorative de l'église de Lunel et sur la stèle du Bois d'Eraine.


RIS Jacques

Capitaine au 24e RTS

par Jean-Yves Bonnard


Né le 18 novembre 1903 à Pouxeux (Vosges), il est le fils d'Henry Lucien Louis Ris et d'Augusta Marie Mathilde Huguenin. Il épouse le 22 février 1935  Marie Madeleine Angélique Belveraggi à Rabat (Maroc).

Saint-Cyrien de la promotion Chevalier Bayard, en 1923-1925, affecté au Maroc, il participe à la guerre du Rif (1924-1927).

Affecté au 24e RTS, il est tué le 10 juin 1940 au Bois d'Eraines, à Cressonsacq. Il reçoit la mention Mort pour la France. Son nom figure sur le monument aux morts de Corte (Corse), et sur les plaques commémoratives du lycée Poincaré de Nancy et du Bois d'Eraine à Cressonsacq.



ROTELLE André Gaston

Sous-lieutenant au 24e RTS

par Jean-Yves Bonnard


Né le 19 février 1916 à Ouveillan (Aude), cet instituteur a été formé à l'Ecole Normale de Carcassonne (Aude) entre 1934 et 1937. Une note de 1940 indique de lui qu'il était " Elève sérieux dans son travail, d'une conduite parfaite, très sportif à l'occasion, camarade gai et serviables; il ne connut qu'estime et affection".

Il fait son service militaire actif à Saint-Maixent de 1937 à 1939: " Il aimait son métier de chef et s'appliquait à bien conduite ceux des tiraillleurs du 24e Sénégalais dont il avait la charge".

Il est nommé sous-lieutenant au 24e RTS. Il est abattu le 9 juin 1940 en lisière du Bois d'Eraine à Cressonsacq.

Enterré sur place, il est ensuite inhumé dans la tombe familiale d'Ouveillan.

Il reçoit la mention mort pour la France.

Son nom figure sur le monument commémoratif des Instituteurs de l'Aude à Carcassonne, sur le monument aux morts d'Ouveillan et sur la stèle du bois d'Eraine.


Sources

Arch. départ. Aude 1567W13/04.


ROUX Louis Marie François

Lieutenant - 24e Régiment de Tirailleurs Sénégalais (24e RTS)

par Jean-Yves Bonnard


Né le 3 avril 1906 à Paris, marié à Dominique Bedel (décédée en 1936), il exerce la profession d'architecte dplg. Il a été Grand-Massier de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts.

Lieutenant au 24e RTS, il est tué le 10 juin 1940  à Cressonsacq. 

Son nom figure sur la stèle commémorative du massacre du bois d'Eraine.

Il reçoit la mention Mort pour la France.


Sources

Mémoire des Hommes.


SPECKEL Jean Richard Antoine

Capitaine au 16e RTS

par Jean-Yves Bonnard


Né le 8 avril 1904 à Besançon (Doubs), capitaine au 16e RTS, il est fusillé le 9  juin 1940 à Cressonsacq, au Bois d'Eraine, pour avoir voulu protéger ses tirailleurs.

Il est reconnu Mort pour la France.

Son corps repose dans la nécropole nationale de Cambronne-lès-Ribécourt, tombe 361.

Il reçoit la citations suivante: "Officier de grande valeur, qui par sa haute autorité, la droiture de son caractère et son exemple de chaque instant a su faire de son bataillon une unité manœuvrière de premier ordre et lui imprimer un bel esprit offensif. Galvanisant des unités par son énergie personnelle, a obtenu d'elles pendant la période du 23 mai au 9 juin 1940, au cours des combats de Fouillot et de Villers-Bretonneux, de magnifiques efforts. Le 9 juin 1940, se trouvant encerclé par un ennemi très supérieur en nombre, a combattu jusqu'à son dernier souffle et est tombé mortellement blessé pour la France, faisant le sacrifice de sa vie pour sauver ses tirailleurs".

Il est fait chevalier de la Légion d'honneur et reçoit la Croix de guerre 39/45.

Son nom figure sur le monument aux morts et une plaque commémorative du Lycée Ingres à Montauban, sur une plaque du monument aux morts de Cressonsacq et sur la plaque commémorative du bois d'Eraine.


Sources

Mémoire des Hommes.

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