Les maquisards

Les maquisards de l’Oise

par Jean-Pierre Besse

 

Etre maquisard

Prendre le maquis conduit le résistant à quitter un domicile pour trouver refuge dans la forêt, à l’abri dans une carrière abandonnée (maquis Ronquerolles), dans une maison forestière (maquis des Usages), ou dans un campement (maquis de Mouy). Il arrive aussi que les maquisards trouvent refuge dans des fermes (maquis de Caisnes, de Saint-Germain la Poterie et de Château-Rouge).

Dans tous les cas, devenir maquisard signifie renoncer à tout confort de la vie domestique pour entrer en clandestinité avec des ressources limitées, des moyens réduits… Cet isolement volontaire nécessaire à l’action armée exige une force morale de la part des maquisards soutenue par leur esprit de corps et leur devoir patriotique. Les groupes sont structurés, encadrés par des hommes expérimentés ayant fait leurs armes, les plus jeunes lors de leur service militaire, les plus anciens lors de la Grande Guerre. D’autres encore ont été militaires de carrière.

Le témoignage de Victor Fournival, alias Piton, publié dans la brochure « Héros de l’Oise » est sur le sujet particulièrement fécond :

« Soldats sans uniforme, nous étions mal armés, mal équipés et peu instruits ; mais une nouvelle tactique nous convenait qui fut à l’origine de notre succès : la guérilla.

Des gens (qui s’y connaissaient en tactique et l’ont bien fait voir en 1940) trouvèrent que l’action des FTP était mal coordonnée, que beaucoup d’opérations n’avaient qu’un intérêt secondaire. Et ces tacticiens émérites ajoutèrent même que tuer des boches pour prendre leurs armes c’était de l’aventure. Diversion d’attentistes, les mêmes qui, à la libération, se firent passer pour de vrais résistants (à Mouy cela ne manquait pas).

Dans notre forme de guérilla, notre tactique cadrait avec notre but : on cernait de haine l’armée ennemie et on la privait de sécurité, on la contraignait à immobiliser des effectifs appréciables à la garde des points vitaux. Cette tactique est apparue comme juste contre l’ennemi et profitable à la formation des cadres de base.

Le FTP fait la guerre avec ce qu’elle comporte de risques dans le combat. Des brèches profondes ont été parfois faites dans nos rangs avec le concours de policiers français et agents de la Gestapo. Mais notre valeur combative n’a jamais diminué pour cela. Nous nous sommes forgés à travers les difficultés, en soldats brûlant d’un patriotisme droit, sûrs et fiers de la devise des partisans : France d’abord. Combattre par tous les moyens l’ennemi commun et venger nos frères.

Sur les points stratégiques essentiels, la lutte ne fut jamais arrêtée et l’ennemi ne put dissimuler son inquiétude et accusa les coups qu’il reçut en hurlant à mort contre les « terroristes ».

Sur les cartes régionales d’état-major allemandes, le quadrilatère Neuilly-en-Thelle, Mouy, Saint-Vaast-les-Mello, Noailles était ceinturé de rouge ; parfois les actions s’y succédèrent à un rythme accéléré.

Notre détachement se composait de quatre groupes distincts (…). Afin de parer aux difficultés de ravitaillement (bête noire du maquis) et d’éviter de gros rassemblements, ces groupes étaient divisés. Le contact était établi par des agents de liaison en général féminins, doués d’un courage à toute épreuve devant l’ennemi qui ne les soupçonnait pas.

Le détachement pouvait rassembler en quelques heures une centaine d’hommes sans attirer l’attention des boches. Malgré l’armement trop faible, l’on pouvait quand même tenir tête à des forces supérieures. Dans divers combats, il a été contrôlé qu’un FTP valait, dans l’ensemble, quatre à cinq Teutons, et pourquoi ? 1° l’esprit de combativité était plus fort chez les maquisards, luttant à mort pour la libération de leur pays ; 2° leur grande connaissance des bois les rendait presque introuvables, bien que la région de l’Oise ne soit pas propice au maquis : 3° la grande crainte des partisans due à la propagande forcée parmi les soldats allemands.

Tout cela explique notre supériorité incontestable. Terribles étaient pour eux les passages des bois et chemins, où ils savaient les « terroristes » tout près. Mais, en revanche, ils brillèrent par leurs exploits dans le massacre des populations désarmées, et surtout les tortures dans les camps politiques, entre autres le trop célèbre camp de Royallieu (…) »

 

Des effectifs fluctuants

Il semble qu’au début de leur constitution, les effectifs des maquis étaient importants avant de décliner rapidement, les responsables encourageant le retour aux foyers. Beaucoup partent aussi confrontés à une nouvelle vie dont ils ne mesuraient peu-être pas toutes les données et parfois à une « inaction » qu’ils ne comprennent pas toujours.

De même qu’il est quasiment impossible d’évaluer le nombre des résistants, les effectifs des maquis sont difficilement quantifiables. Premièrement, en raison de la prudence qu’il faut manifester face aux chiffres avancés après la guerre par les survivants ou par les témoignages. L’exemple du maquis de Saint-Germain-La-Poterie en apporte la preuve : 60 selon la brigade de gendarmerie, 600 selon le responsable. Deuxièmement, parce que les effectifs ont considérablement varié dans le temps. L’enthousiasme originel peut aussi très vite déboucher sur le découragement, la peur… ou la prudence. Les effectifs varient considérablement d’un maquis à l’autre et les chiffres avancés sont souvent sujet à caution. Les jeunes maquisards sont soit des résistants soit des nouveaux venus que l’annonce du débarquement allié en Normandie a jetés dans la lutte pour la libération. La cohabitation entre les deux n’est pas toujours facile. Les premiers sont habitués à la vie clandestine et aux précautions qu’elle impose, ce n’est pas le cas des jeunes recrues souvent plus enthousiastes et fougueuses que prudentes. Kléber Dauchel écrit « Quand un groupe partait pour une mission, quelques jeunes y étaient incorporés pour les accoutumer à ce genre d’action ». Pour tous les maquisards c’est une vie nouvelle qui commence et pour les résistants « plus chevronnés » c’est une nouvelle forme de lutte qui s’impose. Ce combat frontal tourne rarement au bénéfice des résistants face à l’expérience des Allemands, à leur supériorité numérique et à leur armement.

 

Une durée de vie très variable

Elle est très variable mais toujours très brève, de l’ordre de quelques jours (Rimberlieu) à quelques semaines (Les Usages). Il est rare qu’un maquis tienne plus d’un mois. Soit la répression met fin à cette structure clandestine, soit les responsables décident d’y mettre fin ou de « transporter » les hommes ailleurs.

Les maquis de Saint-Germain-la-Poterie, Néry et Cinqueux-Monceaux échappent à la règle générale puisqu’ils sont encore actifs lors de la Libération.

 

 

Le soutien de la population

Comme l’écrit François Marcot « En déclenchant un processus de guerre, le maquis attire ses horreurs, car partout les Allemands considérant la population comme complice, exercent de sanglantes représailles » (op cit, page 678).

Et pourtant, de même que les attentats en 1941, les bombardements alliés à partir de 1943 n’ont pas empêché la population de regarder d’un œil de plus en plus favorable la Résistance, de même la solidarité n’a pas failli envers les maquis quelles qu’en soient les conséquences.

Il est inconcevable que les maquis aient pu exister sans l’appui des populations. Tous les maquis dont nous retraçons l’histoire ont des relations avec les cultivateurs et les commerçants des environs qui fournissent le ravitaillement et transmettent des informations.

Dans ses souvenirs (inédits), Kléber Dauchel cite pour le maquis de Ronquerolles, Blanchard, cultivateur à Courcelles qui fournit du lait et des pommes de terres, la famille Muriot, commerçants à Bornel qui fournit du beurre, des œufs et du fromage, les époux Hautiquet, boulangers à Bornel qui fournissent le pain pour 48 hommes. Les maquisards savent qu’ils peuvent compter en cas de besoin sur l’aide de certains représentants des professions médicales. Il semble aussi que certaines autorités (maires, gendarmes…) se montrent compréhensives.

On peut citer les dernières lignes, avant la conclusion, de la brochure « Héros de l’Oise, les jeunes FTP du détachement Gaston Fournival, secteur de Mouy », éditée après guerre au profit des familles : « Je me fais l’interprète des soldats du détachement pour remercier et rendre hommage à quelques patriotes de Mouy et des environs, pour leurs actions pour le bien du maquis, dans les derniers mois de la résistance.

En particulier les personnes suivantes : MM Georges Debray, chirurgien à Creil ; Hector Dubois, cultivateur à Saint-Epin-Bury ; Lucien Leblond, maire de Mouy ; Jean Balandras, garagiste à Mouy ; Jean Couderc et L. Avinin, docteurs à Mouy.

Ces Français n’ont pas hésité à répondre à notre appel, tout en connaissant les risques que cela comportait, pour contribuer à la libération de notre pays ».

D’autre part, une étude rapide des demandes de cartes Combattants Volontaires de la Résistance (CVR) prouve que les résistants n’oublient jamais de mentionner ceux qui leur ont permis de subsister.Kléber Dauchel témoigne ainsi : « Il faut dire que c’est Madame Fontaine et sa nièce, aidées parfois par d’autres personnes qui faisaient la cuisine pour nourrir les hommes du maquis, dont une partie mangeait à la grotte et une partie chez Fontaine. »

 

Des actions de harcèlement

Les maquis ont eu un rôle indéniable dans l’histoire de la résistance isarienne. Ils ont réussi par leurs actions répétées à rendre difficile la vie quotidienne des troupes allemandes et par leurs sabotages à gêner les communications et les transports notamment au lendemain du Débarquement, période durant laquelle les besoins en hommes, en armement et en ravitaillement étaient vitaux pour l’occupant.

Mais dans les comptes rendus des mouvements, il est difficile de faire la part des actions à mettre à l’actif des maquisards de celles qui sont réalisées par les autres résistants, que certains historiens appellent parfois « les sédentaires ».

Ainsi, Kléber Dauchel écrit dans un compte rendu : « Le 17 juin, nous attaquons une nouvelle fois la voie ferrée près de Champagne. Il ne faut pas laisser l’ennemi circuler librement et lui rendre la vie impossible, empêcher l’arrivée de nouvelles troupes en renfort. Là encore notre action réussit pleinement : le trafic est interrompu pendant une dizaine d’heures, temps précieux qui profite à nos alliés et accélère l’approche de notre libération. Cette ligne de Creil-Pontoise est très importante pour l’armée nazie. C’est pourquoi nous intervenons aussi souvent … le 18 juin, nos jeunes amis FFI de Défense de la France dont il faut reconnaître le courage et le patriotisme, sont avec nous. Nous attaquons à nouveau le chemin de fer, cette fois au Pont de la ravine près de L’Isle Adam. Le trafic est perturbé… »

Dans ce cas, les actions sont mêlées, car si l’action du 17 juin est difficilement attribuable au maquis, celle du 18 juin, où il est fait mention de Défense de la France, est à l’actif des maquisards de Ronquerolles.

Pour sa part, le rapport de Raymond Turain évoque toutes les activités du détachement Grand-Ferré mais distingue bien, semble-t-il, les activités du maquis de Néry de celles des autres résistants. Ainsi, il note en avril-mai 1944 que ce dernier récupère « 9 fusils lebel, six pistolets et deux mausers », qu’il se livre à « quelques attaques de militaires allemands, spontanées » et que les « crève-pneus font leur travail sur les routes fréquentées par les véhicules ennemis c'est-à-dire : N°32, N°332, et les départementales dans tout le secteur ».

La brochure « Les Héros de l’Oise », quant à elle, est remplie des comptes rendus et des récits des actions menées par le maquis de Cauvigny-Mouy contre les camions et voitures allemandes utilisant les routes proches mais lorsqu’elle cite des auteurs, il est difficile de savoir s’ils appartenaient au maquis ou aux autres groupes. Prenons l’exemple de Gaston Fournival tué par les gendarmes français le 27 juin 1944 alors qu’il vient de récupérer et qu’il transporte des armes parachutées à Haudivillers. Il est mentionné comme maquisard alors qu’il agit vraisemblablement dans un autre cadre. Nous touchons là à un autre point important dans l’histoire des maquis : la limite entre maquis et groupes de résistants est ténue, fragile et Gaston Fournival a très bien pu, pendant quelques jours, séjourner au maquis puis en être « redescendu » à la demande de ses responsables pour réaliser une mission.

Les actions de harcèlement et d’attaques de l’occupant ne sont pas les seules raisons d’être des maquis. Celui des Usages, par exemple, ne vise pas les mêmes objectifs (même si ces actions ne sont pas totalement absentes) et apparaît davantage comme un lieu de refuge et de formation. Mais là encore, on peut remarquer que dans tous les maquis, il a bien fallu former les hommes qui arrivaient, et le maquis de Crisolles devait se préparer à des actions, sinon on ne comprend pas très bien l’utilité de la formation. Une nouvelle fois il apparaît difficile de dresser des catégories étanches. D’autant plus que le contexte général évolue et donc les maquis aussi. Dans cette situation, que Françoise Leclère-Rosenzweig a qualifiée pour l’Oise de « climat de guerre civile », la lutte impose ses conditions aux combattants qui doivent impérativement répondre à des situations inédites.

 

La répression allemande des maquis

L’attaque des maquis se traduit toujours par une répression sanglante. Il y a d’abord les morts au combat, puis les prisonniers exécutés ou déportés mais il y a aussi les représailles qui frappent les populations des communes où les maquis étaient implantés ou les communes voisines. Répression aveugle accentuée par l’énervement et l’exaspération des troupes allemandes qui sentent la défaite approcher à grands pas.

Cependant, pour les rescapés de ces maquis, le démantèlement de celui-ci ne marque pas la fin de l’engagement résistant. Le plus souvent le combat se poursuit ailleurs, parfois dans un autre maquis, et jusqu’à la Libération du territoire.

 

Une étude complexe

L’étude des maquis se heurte à de nombreuses difficultés liées à l’état de clandestinité absolue imposé par les événements de guerre. Etre maquisard induit une discrétion totale vis-à-vis du monde extérieur (même si la population locale en connaît l’existence ou participe à son ravitaillement) et à l’intérieur même du maquis (même si de nombreux résistants se connaissent dans la vie civile depuis longtemps).

Le chercheur se trouve de fait confronté à une pénurie de sources écrites et, lorsqu’elles existent, à la véracité des documents. En effet, ces derniers ont le plus souvent été produits après la Libération voire longtemps après, soit dans le cadre d’enquêtes de police, de rapports d’activité, de procès ou lors de commémorations.

On assiste à une reconstruction historique avec son lot d’incertitudes, de silences, d’exagérations ou de minimisations volontaires… Ainsi, tandis que beaucoup de maquis des FTP sont connus et encensés dans l’immédiat après-guerre (les maquisards sont élevés au rang de « héros » par leurs frères d’armes), avant de tomber dans un certain oubli, ceux des autres mouvements de résistance apparaissent discrets parfois inconnus. Ne faut-il pas y voir, d’une part, la traduction d’une réalité historique, l’engagement dans la lutte armée plus intense chez les FTP, et/ou d’autre part, une volonté des autres mouvements à ne pas revendiquer une forme d’action qui avec le temps est beaucoup moins bien perçue et acceptée par la population ?

L’étude des maquis isariens comporte donc une part de supputations non négligeable qui ne peut se contenter d’éléments bibliographiques, ni d’un état des cérémonies commémoratives mais doit s’enrichir de témoignages et de fonds d’archives.

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