Le Bataillon de France

Le Bataillon de France
par Jean-Pierre Besse, mise à jour par Jean-Yves Bonnard le 24 avril 2024

Le groupe de Résistance, baptisé le Bataillon de France, est rattaché au mouvement Combat zone Nord (ex Mouvement de Libération Nationale), créé en zone non occupée par Henri Frenay.

Etendre la Résitance en zone occupée
En décembre 1940, le capitaine Robert Guédon, camarade du capitaine Henry Frenay à l'Ecole de guerre, accepte de le rejoindre dans le Mouvement de Libération Nationale créé en zone libre avec Betty Albrecht. Sa mission : étendre le mouvement en zone occupée. Elle évolue ensuite vers la recherche de renseignements et la diffusion de la presse clandestine (notamment
Les Petites Ailes de France, Veritas, Pantagruel, Le Travailleur, La France Continue, Valmy puis Combat) et trouve des soutiens dans  le réseau Hector animé par Alfred Heurteaux.


Quelque temps après, Robert Guédon contacte le chef de section au ministère des Finances Charles Le Gualès de La Villeneuve, pour savoir si des actions sont possibles dans l'Oise, où ce dernier réside. Officier de cavalerie en retraite demeurant à Ver-sur-Launette, Charles Le Gualès appartient alors à un petit groupe de sympathisants de la Résistance formé autour de Tony Ricou et comprenant Elizabeth et Paul Dussauze, Marthe Delpirou et Philippe Le Forsonney. Tous se réunissent au domicile parisien de Ricou, au n°80 rue Spontini (15e), lequel donne son nom au groupe qui rejoint le Mouvement de Libération Nationale.

Bientôt, Tony Ricou se voit chargé de la liaison avec les groupes de province.

Le Gualès, quant à lui, assure la liaison avec les équipes distribuant des journaux clandestins: Pantagruel, La France continue et Valmy.

Les deux hommes vont prendre l'attache de résistants compiégnois.

Robert Guédon

Tony Ricou

Herny Frenay

Le groupe de Compiègne

Créé en février 1941, ce groupe naît de la volonté de trois jeunes compiégnois, Robert Héraude (18 ans), Michel Edvire (17 ans) et Gabriel Clara (16 ans), de lutter contre l'occupant allemand et de s'opposer à la politique de collaboration de Vichy.

Les jeunes amis étendent alors leur cercle. Robert Héraude convainc l'agent forestier Georges Beshon de les rejoindre. Ce dernier, convainc à son tour Christian Héraude et Abel Laville (employé au garage Guinard réquisitionné par l'armée allemande).

Le cercle s'agrandit encore lorsque se joignent Gualbert Flandrin (patron de café) et Albert Vandendriessche (tapissier), deux anciens combattants de la Grande Guerre. Suivent Georges Dubois (employé au dépôt d'armes et munitions de l'ancienne Cristallerie), Alfred Vervin (mécanicien ajusteur), Georges Fouquoire (chaudronnier au garage Guinard), Maurice Rousselet (empployé au garage Guinard), Jean Fleurus (chauffeur de taxi), François Claux (négociant en vins) et Georges Tainturier (garagiste).

Le groupe, composé principalement d'artisans et de commerçants de Compiègne et de Margny-lès-Compiègne, se charge de récupérer, de remettre en état et de cacher, des armes abandonnées par les soldats français en retraite.

Georges Gandouin et Gualbert Flandrin mènent des repérages pour des terrains d'atterrissage et de parachutage, indications qu'ils transmettent à Gilberte Bonneau du Martray elle-même en relation avec un agent du Service Intelligence Service, Arthur Bradley-Davis.

Fin 1941, le groupe de Compiègne se rapproche du réseau Hector et diffuse la presse clandestine.

Michel Edvire

Abel Laville

Gabriel Clara

Georges Beschon

Desoubrie, l'agent de l'Abwher infiltré

Début 1941, Charles Le Gualès rencontre un jeune Belge impatient d'agir dans la Résistance, Jacques Desoubrie, un agent à la solde de l'Abwher. Ce dernier, jouant un double jeu, devient son homme de confiance et bientôt son agent de liaison.

Le 23 janvier 1942, Tony Ricou, alias Richard Tavernier, se rend à Compiègne avec Jacques Desoubrie, alias Jacques Duverger, afin de rencontrer les dirigeants du groupe de Compiègne et les convaincre de se rallier à eux.

La réunion se tient chez Albert Vandendriessche dont la surveillance du domicile est assurée par des guetteurs. Gualbert Flandrin et Georges Tainturier assistent à la présentation du mouvement Combat Nord par Ricou.  Les compiégnois acceptent de se rallier à lui. Ricou propose ensuite que Georges Tainturier, fort de son expérience d'officier, prennent la direction du groupe. Ce dernier, hésitant, accepte.

Présenté par Tony Ricou comme étant le meilleur agent du réseau, Desoubrie assure alors la liaison avec le groupe de Compiègne. Entre le 25 février et le 20 mars, hébergé chez Gualbert Flandrin et son épouse, qui voient en lui un grand patriote, il se rend au domicile des membres du Bataillon de France au volant d'une camionnette. Il distribue des tracts

Après plusieurs discussions, il parvient à convaincre le groupe de réunir les armes dispersées en un seul endroit, une maison inhabitée de l'avenue de Clairoix, à Margny-les-Compiègne.

C'est ainsi que Georges Beschon présente Desoubrie à Maurice Rousselet (15 ans) et fait plusieurs transports d'armes avec lui. Le même Beschon présente Desoubrie à René Nicot, instituteur à Boulogne-la-Grasse.

De son côté, Vandendriessche présente Desoubrie à Augustin Delignière, boucher à Cuts, lequel lui confie qu'il est en contact avec des amis parisiens qui travaillent dans une imprimerie clandestine. C'est ainsi que Desoubrie rencontre  M. Thénard, gardien de la paix à Paris.


Toujours entreprenant, Desoubrie envisage même d'organiser une assemblée générale du Bataillon de France. Mais le 1er mars, il annonce son départ du secteur à ses amis du Bataillon de France.

Albert Vandendriessche

Gualbert Flandrin

Georges Tainturier

Le démantèlement de Combat Zone Nord

En cette fin d'année 1941, le mouvement Combat (du nom du journal né de la fusion du Mouvement de Libération Nationale et de Liberté) est parfaitement connu de l'Abwehr qui y a placé ses agents, Jacques Désoubries, Henri Devillers et Jean-Paul Lien, résistant retourné. Commence alors une série d'arrestations. Le 8 janvier 1942, des arrestations sont opérées à Dijon par la Geheime Feldpolizei.

Elizabeth et Paul Dussauze sont arrêtés dans la nuit du 3 au 4 février 1942, Tony Ricou est arrêté le 5, Charles Le Gualès de Villeneuve le 8, Gilberte Bonneau du Martray le 9, Philippe le Forsonney le 14. Tous sont emprisonnés à Fresnes, au Cherche-Midi ou à Fresnes.

Le 3 mars 1942, la Feldgendarmerie procède aux arrestations dans le Compiégnois. Sont interpellés : Georges Beschon, François Claux, Michel Edvire, Gualbert Flandrin, Georges Fouquoire, Alexandre Gandoin, Charles Héraude, Robert Héraude, René Nicot, Maurice Rousselet, Georges Tainturier, considéré comme le chef du groupe, Robert Toustou, Albert Vandendriessche et Alfred Vervin.

Le lendemain, Pierre Bourson se livre à la police pour épargner sa famille.

Le 17 avril, Gabriel Clara et Albert Laville sont arrêtés à leur tour, dans le cadre de cette affaire, le premier à Margny, le second à Compiègne.

Au cours de leurs investigations, les feldgendarmes saisissent 147 grenades à main, dix fusils, neuf mitrailleuses lourdes avec leurs affûts, une mitrailleuse légère, 35 armes blanches, 200 munitions, trois affûts de mitrailleuses lourdes et d'autres matériels.

Le 29 juin 1942, date de la dernière arrestation, Combat Zone Nord est décimé. Henri Frenay décide de ne pas reconstituer le mouvement en zone occupée.

Les résistants rescapés des arrestations se tournent alors vers l'Organisation Civile et Militaire ou vers Ceux De La Résistance créés peu après.


Pierre Bourson

Georges Gandoin

Jugés dans le cadre de l'affaire Continent

Internés à Fresnes, seul Georges Fouquoire parvient à sortir libre en simulant la folie, ce qui lui vaut d'être interné à Sainte-Anne durant deux années. Les autres résistants sont déportés pour Sarrebrück le 17 septembre 1942 dans le cadre du décret Nacht und Nebel.

Le 29 octobre suivant, Georges Beschon décède, malade de dysenterie. Alfred Vervin décède à son tour le 23 janvier 1943, emporté par la diphtérie.

Les détenus font l'objet d'interrogatoires puis d'un procès tenu entre le 12 et le 19 octobre 1943 par le 2e sénat du Volksgerichtshof.

- Le 15 octobre, Gualbert Flandrin et Alexandre Gandoin sont jugés avec Gilberte Bonneau du Martray. Ils sont condamnés à mort pour espionnage en temps de guerre.

- Le 19 octobre, les frères Héraude, Georges Tainturier,  Gabriel Clara, Abel Laville, Albert Vandendriessche et Michel Edvire sont condamnés à mort.

Les neuf condamnés à mort du groupe de Compiègne sont guillotinés à Cologne, le 7 décembre 1943.


Pierre Bourson est condamné à quatre ans de réclusion. Il est, par la suite, déporté dans la forteresse de Sonnenburg-sur-l'Oder. Le 29 novembre 1944, il est transféré pour les usines Heinkel d'Orianenburg où il meurt d'une pneumonie le 17 décembre suivant.

Maurice Rousselet est condamné à 8 ans de prison. Il rentre en France après sa libération par les Américains, le 2 avril 1945, près de Meinigen.

René Nicot est envoyé au camp de Dachau sans avoir été jugé. Il revient en France une fois libéré.

Robert Toustou, condamné à six ans de réclusion, est déporté à Sachsenhausen, matricule 117 353, puis blessé par une rafale de mitraillette par les Allemands, lors de leur repli devant l'avancée de l'Armée rouge. Relevé par la Croix-Rouge, il ne revient pas.

François Claux meurt lors du bombardement de la prison de Sarrebrück, en mai 1944.

Robert Toustou

Maurice Rousselet vers 1945

François Claux

Maurice Rousselet en 1993

Après-guerre, le procès

Jacques Desoubrie, quant à lui, recherché à la Libération, est arrêté à Augsbourg le 10 mars 1947. Il est jugé, avec Maurice Grapin et son amie Marie-Thérèse Verger, par la cour de justice de la Seine présidée par M. Ledoux du 7 au 20 juillet 1949. Il est défendu par Me Wagner, son amie par Me Meller et Grapin par Me Prumière. Connu sous les pseudonyme de Jacques Duverger, Jean Masson, Pierre Boulain, Jacques Verger et Vogel, Desoubrie livre de nombreuses informations sur son parcours durant la guerre. Ses infiltrations dans les réseaux Hector, Turma-Vengeance, Liberté, Centurie, Comète... ont conduit à l'arrestation de 600 résistants.

A l'issue des débats, il tente de s'empoisonner mais est conduit à l'Hôtel-Dieu où il est soigné. Une lettre laissé dans sa cellule est lue par le président Ledoux lors de la dernière audience: "Le destin m'a placé dans un service de contre-espionnage. Je n'ai pas le regret de mes actes. J'ai travaillé par idéologie. J'ai toujours été sincère et je n'ai pas trahi. L'image du Führer est toujours présente devant mes yeux. Devant l'injustice des hommes, je mourrai de ma propre main quand même plein d'enthousiasme: "Heil Hitler". 

Dans son réquisitoire, le commissaire du gouvernement M. Sehacken réclame la peine de mort. Désoubrie lance aux jurés qui se retirent : "Je sens que vous allez commettre un assassinat légal".

Le verdict du 26 juillet 1949 le condamne à mort. Maurice Grapin est condamné à 5 ans de travaux forcés et Marie-Thérèse Verger à 5 ans de prison. Jacques Désoubrie est fusillé le 23 décembre 1949 au fort de Montrouge.

Jacques Désoubrie à son procès

Sources :
Presse locale de la Libération - La semaine de l'Oise de juillet 1949 - Le déporté, septembre 1993, quotidien, Pierre Le Rolland.
Archives des familles du Bataillon de France - Arch. Nat. Z/6/818, 819, 820.
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