Le maquis des Kroumirs

Le maquis des Kroumirs

par Jean-Pierre Besse et Jean-Yves Bonnard 


A la mi-août 1944, à peine deux mois après l’attaque du maquis de Ronquerolles, le détachement FTP Patrie décide d'organiser un nouveau maquis à Trie-Château. Son chef, Kleber Dauchel, cherche une couverture pour poursuivre son activité clandestine de harcèlement des troupes allemandes.

La formation du maquis

Par l'intermédiaire d'un marchand de bois et charbon de Bornel, M. Lenique, Kléber Dauchel entre en relation avec une personne qui travaille à l'Office départemental des bois et charbons de Beauvais et indique les numéros cadastraux d'un lot de bois, près de Trie-Château, qui doit être réquisitionné pour faire du bois de boulange et du charbon de bois. Dauchel rencontre le maire de Villers-sur-Trie qui met le garde-champêtre de la commune à sa disposition afin de reconnaître les lieux. Il offre un petit local qui pouvait loger trois ou quatre personnes et servir d'abri pour les outils. Mais ce local est situé au bord de la route, il est trop visible pour le travail à faire.

Le marchand de bois et charbon de Bornel fournit tout l'outillage de bûcheron. Henri Lemaire, instituteur de Trie, fait la présentation à Dauchel de Bourgeois, cultivateur à la ferme des Kroumirs à Trie- Château qui accepte d'héberger les hommes du détachement Patrie. La ferme est à environ trois cents mètres de la route. On y accède par un petit chemin à travers le bois qui entoure la ferme au trois-quarts. Le reste du terrain est constitué de prés plantés de pommiers et donnant sur la plaine. La route passe à quatre cents mètres de là, près d'une autre ferme.


Le 12 août, six hommes du détachement Patrie, Marcel Tilloloy, Robert Tilloloy, Roland Laurence, Louis Albert Leclère, Georges Rayer et Fernand Duirat, rescapés de Ronquerolles jusque-là cachés au château de Lamberval à Neuilly-en-Thelle, parcourent les trente kilomètres qui séparent Fresnoy-en-Thelle de Trie-Château où les Allemands logent au château de la Folie.


La ferme des Kroumirs est une bâtisse construite à proximité d’un bois en limite de Trie-Château de Villers-sur-Trie et d’Eragny-sur-Epte.

Fernand Duirat témoignera : « Nous nous sentons à l’abri dans cette ferme où le fermier, Pierre Bourgeois et sa famille nous font passer pour des travailleurs forestiers. Ce n’est pas la première fois qu’il héberge des fugitifs. Avec lui, travaillent Jean Bouvy, son neveu réfractaire au STO originaire de Boran-sur-Oise, ainsi qu’un ouvrier alsacien André Vigneron et sa femme. »

Les maquisards passent à l’action assez rapidement et sectionnent les fils téléphoniques de quinze poteaux assurant les liaisons de la kommandantur. Le jour, ils travaillent auprès des fermiers, coupent du bois et organisent même une chasse au sanglier.                



L’attaque du maquis (14 août 1944)

Est-ce les coups de feu ? Est-ce une vue indiscrète depuis la route ou de la ferme en face ? Toujours est-il que, le 14 août 1944, très tôt le matin, le fermier aperçoit une file de camions allemands desquels descendent une grande quantité de soldats qui, aussitôt, s'échelonnent le long de la route, face à la ferme des Kroumirs.

Bourgeois prévient les FTP de la situation. Fernand Duirat écrit que c’est lui qui vit les camions et qui alerta le fermier. Hâtivement ceux-ci cachent leurs armes dans la paille de la grange et quittent la ferme en prenant le chemin qui traverse le bois, pensant ainsi s'échapper par la route menant à Trie-Château. Mais le bois et la ferme sont entourés entièrement par les Allemands, à raison d'un soldat tous les dix mètres.

Quand les six résistants sortent du bois, ils se trouvent face à face avec les Allemands. Les six FTPF, sans armes, sont faits prisonniers et tenus en respect les bras en l'air. Au bout de quelque temps, ils entendent une fusillade et des cris qui viennent de la direction de la ferme. Les Allemands ont trouvé les armes dans la grange. Immédiatement, ils fusillent le fermier, Bourgeois, devant sa femme et sa fille d'une dizaine d'années, ainsi que les deux commis de la ferme, Jean Bouvy et André Vigneron.

Les FTP essaient alors de s'échapper mais les Allemands leur tirent dessus. Quatre d'entre eux sont tués : Albert Leclère, Marcel Tilloloy, Robert Tilloloy et Georges Rayez. Roland Laurence est fait prisonnier, il sera déporté par la suite. Fernand Duirat réussit à s’échapper après avoir abattu avec son arme un soldat allemand puis un autre. Il profite que les Allemands sont occupés à manger des pommes pour sortir du bois. La nuit venue les Allemands repartent sauf un qui essaie de l’arrêter, mais un troupeau de vaches lui permet de fuir bien que blessé (lire le témoignage de Fernand Duirat dans « Le Marocco , itinéraire d’un résistant FTPF de Chamblis »).



Les commémorations

De nombreux hommages ont été rendus aux victimes des Kroumirs, notamment à Chambly, ville natale des frères Tillolloy. C’est là que, le 9 septembre 1944, eurent lieu les obsèques des cinq résistants FTP. Le cimetière contient ainsi un mémorial pour les victimes de la guerre.

La commune de Trie-Château, quant à elle, reçoit une citation en 1948 pour « l’aide apportée au maquis [qui] lui a valu les honneurs des représailles allemandes ».

Le 29 juin 1980, une stèle est érigée près de la ferme des Kroumirs sur laquelle sont gravés les noms des victimes de l’attaque allemande.




Sources

Fernand Duirat, le Marocco, coll. Témoignages, CDDP Oise.

Fernand Duirat et les frères Tilloloy photographiés le 13 août 1944

près de la Ferme des Kroumirs (collection R60)

De retour d’une chasse au sanglier (collection R60)

A la ferme des Kroumirs de gauche à droite :

André Vigneron, Marcel Tilloloy, Roland Laurence, Louis-Albert Leclère, Micheline Bourgeois, Fernand Duirat, Pierre Bourgeois, Jean Bouvy,

Georges Rayer, Robert Tilloloy (collection R60)

Louis Albert Leclère (1910-1944) et Georges Henri Rayez (1921-1944)

Robert Léon Tillolloy (1921-1944) et Marcel Henri Tillolloy (1923-1944)

 Stèle de la ferme des Kroumirs à Trie-Château

(photographie Jean-Yves Bonnard)

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