Maquis de l'Oise

Les maquis de l'Oise

par Jean-Yves Bonnard, Jean-Pierre Besse et Françoise Leclère-Rosenzweig


Le terme « maquis » est un terme qui relève de la géographie : dans le sud de la France, c’est un groupement de végétaux méditerranéens poussant sur un sol acide, contrairement à la garrigue qui pousse sur un sol calcaire. En Corse, le terme « maquis » est employé pour cette végétation dense, impénétrable, dans laquelle les bandits se cachaient pour échapper à leurs poursuivants. L’expression « prendre le maquis » fait référence à ce refuge naturel où le fugitif se cache et vit à l’abri en toute clandestinité.

Durant la Seconde Guerre mondiale, le terme « maquis » prend une nouvelle acception : à partir de 1943, le maquis devient une forme d’organisation de la Résistance, symbole de la lutte armée. Les jeunes réfractaires au Service du Travail Obligatoire (STO) trouvaient refuge dans les bois, dans la forêt, à la campagne, dans la nature. Peu à peu, l’usage de l’expression « prendre le maquis » s’imposa.

Retraçant l’évolution des maquis dans le Dictionnaire de la Résistance, François Marcot distingue trois périodes : après avoir signalé que les maquis sont nés en dehors de la Résistance « de l’initiative de réfractaires », François Marcot distingue « la première période des maquis, qui va jusqu’à l’automne 1943[…] celle de leur intégration à la Résistance », puis à partir d’avril 1944, une deuxième période, celle « d’une véritable renaissance » des maquis. Enfin « Le 6 juin 1944, s’ouvre la dernière période celle de la grande montée au maquis. Les messages du 5 juin de la BBC, notamment celui du plan rouge « guérilla » n’expliquent que partiellement l’intensité d’une mobilisation populaire » (Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont, 2006, page 677.) De fait, le terme recouvre des réalités très différentes, car il n’y a rien de commun entre le Vercors, le maquis de Saint-Marcel dans le Morbihan et les maquis de l'Oise.


Définir les maquis de l'Oise

En effet, dans ce département, la très grande majorité des maquis est née après le Débarquement du 6 juin 1944, celui de Saint-Germain-la-Poterie faisant exception (encore, dans ce cas, peut-on se demander quand passe-t-on du refuge au maquis ?).

On peut même affirmer que dans le paysage isarien de la Résistance, le terme maquis recouvre aussi des réalités différentes, dans leur localisation, leurs modes de fonctionnement (refuge, lieu de stockage d’armes, base arrière d’actions…), leurs effectifs, leur durée...

D’autre part, il est parfois difficile de distinguer ce qui relève d’un maquis, d’où les résistants lancent des attaques contre les Allemands, et du refuge d’où des résistants, des réfractaires au STO ou encore des prisonniers évadés qui, pour quelques jours et en petit nombre, se cachent ou s’installent à l’écart des voies de communication et des habitations dans l’attente d’une nouvelle installation.

La présence de vingt cinq soviétiques, prisonniers évadés, à Thiers-sur-Thève entre le 16 juillet 1944 et la fin août suffit-elle à donner naissance à un maquis soviétique à Thiers ? Nous ne le pensons pas. Il faudrait qu’ils aient servi dans la résistance ce qui n’est pas démontré même si les Soviétiques ont été en contact pour leur transport et leur cache avec des responsables de la Résistance.

Il apparaît de plus en plus que l’un des gros problèmes auxquels se trouve confrontée la résistance isarienne à partir de juillet 1944 soit justement de trouver un refuge aux prisonniers soviétiques évadés du « camp du moineau » à Mouy-Bury et de gérer cet afflux de résistants potentiels. Certains ont réellement participé à la résistance en payant parfois de leur vie cette participation, mais d’autres n’ont pas forcément adopté la même position et ont été, pour la Résistance, plus un souci qu’une aide. Une lettre du matricule 35, William Vaudelin, chef de groupe du détachement Grand-Ferré, en est un exemple « J’ai actuellement 10 russes planqués dans les fermes de Rocquemont. Récupérés au moment de leur transfert de Creil à Crépy, âgés de 22 à 30 ans, tous anciens soldats, ils désirent rejoindre un groupe. Le fermier qui s’en occupe me demande de l’en débarrasser. Je n’ai donné aucune réponse affirmative, prétextant de demander des ordres. Ce groupe vous intéresse-il ? Si oui faire réponse rapidement. Si non avez-vous une filière pour eux » (archives privées Jean-Pierre Besse).

La difficulté à différencier ce qui est une cache ou un refuge de ce qui est un maquis est accentuée par la place que tiennent le maquis et les maquisards dans la mémoire de la Résistance. Le maquis est devenu très vite, et très tôt, le symbole de la lutte armée et, par voie de conséquence, le terme maquisard est utilisé pour qualifier le résistant. Le rapport rédigé en 1967 par Raymond Durain, chef du détachement Grand-Ferré sous le pseudonyme de Jack, en apporte deux exemples. Evoquant la création du détachement en novembre 1942, il signale qu’il est constitué de onze responsables et soixante deux hommes dont dix maquisards en ajoutant entre parenthèses « responsables ». Sous sa plume, les clandestins deviennent donc des maquisards. Idée qu’il reprend quelques pages plus tard lorsqu’en avril-mai 1944 est constitué le maquis de Néry. Il évoque alors « un maquis volant par répartition chez l’habitant avec changements fréquents de résidence par période de 6 à 7 jours au plus » et ajoute « ce sont les officiers de l’Etat major de la compagnie, sauf le commandant de la compagnie qui reste son domicile. Précédemment ces responsables étaient en clandestins, tantôt en un lieu, tantôt en un autre » (archives privées Jean-Pierre Besse).

Si on suit Raymond Durain dans sa définition de maquisard, tous les clandestins sont des maquisards !!! et donc Jacques Duclos, le responsable national de la résistance communiste pendant toute l’Occupation, serait un maquisard !!!

Il est essentiel d’avoir présent à l’esprit cette polysémie pour bien comprendre qu’il y a une différence entre l’usage du mot communément admis et l’application qui en est faite dans les recherches et les travaux historiques.


Plusieurs caractéristiques doivent être prises en compte dans la définition du terme « maquis » :

-       L’isolement : les maquis occupent des secteurs éloignés des habitations (donc des populations) et sont difficiles d’accès afin de permettre une meilleure protection du groupe.

-       La clandestinité : les maquis sont constitués d’hommes agissant en secret, avec une identité inconnue ou sous un pseudonyme.

-       La vie en collectivité : un maquis est le rassemblement d’hommes vivant en groupe et partageant un objectif commun pour une durée variable.

-       L’encadrement : les maquis ont leur propre structure interne et possèdent une hiérarchie, un encadrement et ils sont le plus souvent placés sous la direction d’un mouvement qui coordonne leurs actions avec celles des autres résistants.

-       Les objectifs : l’existence même d’un maquis est liée à un objectif d’actions (sabotage, renseignement, attaque…) et/ou de formation des hommes (entraînement au sabotage, au maniement des armes).

-       La liaison avec la Résistance locale : les maquis nécessitent des besoins notamment en termes de ravitaillement mais aussi de renseignements. Le retranchement des maquisards n’est donc pas total puisque ces derniers ne peuvent subsister durablement que grâce à ces liens étroits.

Les principaux maquis de l’Oise sont au nombre de dix :

1.  Saint-Germain-la-Poterie,

2.  Cinqueux – Monceaux,

3.  Néry - Bois de l’Isle – Saint-Sauveur,

4.  Le Bois Saint-Michel,

5.  Les Usages,

6.  Caisnes,

7.  Ronquerolles,

8.  Mouy et sa région,

9.  Rimberlieu,

10. Les Kroumirs.


Ceux de Thiescourt (lieu de cache de STO), de la Basse-Queue ou de Thiers-sur-Thève (lieu de cache de dix prisonniers soviétiques) apparaissent très éloignés de l’action armée.



Un élément d'un tout

Les maquis de l'Oise s'insèrent dans un mouvement d'ensemble qui a touché bon nombre de régions françaises à l'approche du débarquement. Leur mission consistait au maximum à pratiquer des actions de guérilla, au minimum à harceler l'occupant, à désorganiser les voies de communications pour retarder l'accès de l'armée allemande au front de Normandie. Certains ont atteint leurs objectifs, d'autres ont connu moins de réussite en raison des conditions géographiques, de l'importance de leur recrutement, des moyens matériels dont ils disposaient.

Leur contribution à la reconquête du territoire est indéniable mais difficile à apprécier, certaines actions ayant paralysé les voies de communications quelques heures voire quelques jours, d’autres ayant conduit à une répression forte contre les maquisards voire contre la population civile. Concernant la question de la réussite ou de l’échec, la réponse est donc à nuancer, car elle ne peut s’apprécier ni sur le nombre de maquisards, ni sur le nombre d’actions, ni sur la durée de tel ou tel maquis sans mettre en vis-à-vis leur répercussions sur l’armée allemande et sur la population civile.

Les maquis sont un élément d’un tout. Ils s’inscrivent dans le projet de déstabiliser et d’affaiblir l’armée d’occupation, au même titre que les bombardements alliés, le renseignement ou toute autre forme d’action de la Résistance.

Concernant le mode de fonctionnement de ce type de guérilla, les nombreux bois et forêt de l’Oise ont pu apparaître comme des refuges et des bases-arrières efficaces. Découverts par hasard, par enquête ou par dénonciation, de nombreux maquis ont été attaqués. Pour autant, les attaques dont la plupart des maquis ont fait l’objet sont sans doute la marque d’une faiblesse organisationnelle mais s’expliquent aussi par la nature même de leurs actions et la puissance de l’armée régulière ennemie.

Dans le livre La Résistance en Val d’Oise, les auteurs s’appuient sur les réflexions de Philippe Viannay retranscrites dans un rapport conservé aux archives historiques de l’Armée, pour en démontrer les limites :

« Après la tragédie de Ronquerolles, le commandant « Philippe » constate qu’il est pratiquement impossible d’implanter des maquis organisés dans ces bois trop rapprochés de la capitale et dans une région truffée de forces allemandes. Il estime préférable de constituer désormais de petits groupes de combattants soumis à la discipline mais répartis en divers villages et logeant chez l’habitant – ce qui avait été, en somme, la tactique suivie par les FTP avec succès. Suivant les ordres donnés en ce sens, les membres corps francs qui n’habitaient pas le Val d’Oise allèrent chercher à Paris tout un matériel hétéroclite de campement, puis se firent accueillir, par petites formations, dans un certain nombre de communes en se faisant passer pour des réfugiés de régions sinistrées. A partir de ce moment, il devient réellement difficile de distinguer dans les actions armées – et au travers des rapports officiels que nous possédons – la part qui revient aux formations FFI proprement dites et celle revenant aux FTPF, qui ont toujours voulu garder une certaine autonomie. »

 

L’étude sociologique des maquis

Si la sociologie de la Résistance est un chantier historique à peine ouvert, celle des maquis est encore plus balbutiante.

Comme nous l’avons vu, les effectifs fluctuent alors que les sources que nous possédons nous donnent la composition d’un maquis à un moment donné. D’autre part, le risque est grand de réaliser une étude qu’à partir des maquisards tués, c'est-à-dire de ceux dont nous avons, et encore, la certitude qu’ils appartenaient bien au maquis.

Ces remarques posées, il faut bien, à partir des sources dont nous disposons, lancer une première piste. Nous avons la chance de posséder un document qui dresse la liste du maquis de Néry. Ce document a été établi le 24 août 1944, il est accompagné d’une mise à jour du 28 août. Il porte pour titre « détachement 4, carrières de Néry ». Il existe une autre liste, sans mention de détachement ou de groupe, qui, elle, porte le nom de dix soviétiques.

Qu’apprend-t-on ?

Il y a au total vingt quatre noms auxquels il convient d’ajouter l’infirmière et le docteur. Sur ces vingt quatre maquisards, il faut distinguer les dix neuf de la première liste des cinq Nord Africains qui apparaissent sur la liste du 28 août et sont mentionnés comme ayant été recrutés le 24. Ces derniers sont un peu plus âgés que les « premiers maquisards ».

On constate une grande diversité des professions mais tous sont des ouvriers : quatre manœuvres, deux chaudronniers, un mécanicien, un soudeur, un grutier, deux ouvriers agricoles…Une exception le chef du maquis Paul Guillou. Restaurateur, né à Paris, il fut par la suite élu conseiller municipal de Néry sous l’étiquette FTP en 1945 puis comme indépendant de gauche en 1947.

D’autre part, il est surprenant de constater que treize des dix neuf maquisards sont domiciliés à Grandfresnoy, commune d’où est originaire la femme de Paul Guillou, et trois à Chevrières, deux communes du canton d’Estrées-Saint-Denis. Deux habitent Néry et un Choisy-le-Roi. Sur les vingt quatre, neuf sont mariés et père de famille.

Dans les autres maquis pour lesquels nous ne possédons pas de renseignements aussi précis et systématiques, l’extrême jeunesse des maquisards est confirmée. A Néry comme ailleurs, ce sont les deux tiers des maquisards qui ont moins de 25 ans.

Le recrutement local semble beaucoup plus marqué qu’à Néry. C’est indéniable dans la région de Mouy et à Crisolles. On note toutefois la présence de jeunes venus de la région parisienne à Ronquerolles, pour le maquis Défense de la France, mais aussi à Cauvigny (Jean Piraube).

La diversité sociale est très marquée autour d’un noyau central composé uniquement de maquisards issus de la classe ouvrière dans son hétérogénéité de l’ouvrier agricole à l’employé de la SNCF en passant par les manœuvres. La présence d’officiers de carrière, de deux étudiants, d’un gardien de la paix, d’un restaurateur, d’un instituteur…apporte la preuve de cette diversité. N’oublions pas que l’extrême jeunesse des maquisards et leur situation précaire rendent leur situation professionnelle peu précise.

 

Les Soviétiques

Le cas des soviétiques mériterait une étude à part entière, ces derniers étant associés à des maquis sans en être toujours des éléments actifs. Une confusion règne, en effet, dans le terme « prendre le maquis » signifiant davantage à leur égard « trouver refuge dans les bois ». Reconnaissables physiquement et par la langue, les soviétiques sont entrés dans la clandestinité pour avoir déserté les rangs de l’armée allemande ou pour s’être évadés de camps de prisonniers ou de travail. Beaucoup se sont donc trouvés dans les mêmes lieux que les maquisards et ont pu prendre part à l’action armée.

Les Soviétiques qui ont participé activement à la Résistance l’ont fait dans le cadre d’un groupe ou d’un maquis associant aussi bien des Français que des Polonais voire des Yougoslaves.

Cependant, parler de maquis soviétiques dans l’Oise est un abus de langage. Même si certains refuges soviétiques ont pu être attaqués par les Allemands, le défaut d’organisation ne peut les rapprocher de l’état de maquisards (voir annexes ci-après). Une exception est cependant à noter : celui de Saint-Germain-la-Poterie qui, sans avoir véritablement participé à la lutte armée, était organisé et armé.

 

Commémorer les attaques des maquis

Les morts au maquis sont, 65 ans plus tard, les seules victimes de la Résistance à être commémorées par des cérémonies lors de la date anniversaire de l’attaque du maquis, au même titre que les victimes des rafles ou massacres (Boulincourt, Cauvigny, Salency, Andeville, Troissereux….). Ainsi, rien n’a jamais été organisé à Saint-Germain-la-Poterie ou à Cinqueux-Monceaux, sans doute en raison de l’absence de répression contre le maquis lui même.

A l’origine, ces commémorations étaient organisées par les maquisards survivants et les Associations d’anciens résistants et déportés. Avec le temps, les municipalités prennent en charge les cérémonies qui perdent de ce fait leur caractère original. Souvent, rien ne distingue une telle manifestation des autres manifestations patriotiques.

La présence des autorités, autres que les autorités municipales, se fait de plus en plus rare. Dépôt de gerbe, discours parfois, comme à Rimberlieu, office religieux… sont les passages obligés de ces commémorations. Ainsi, le souvenir du maquis de Ronquerolles est célébré depuis plusieurs années par les communes de Beaumont-sur-Oise, Belle-Eglise, Bornel, Chambly, Champagne, Hédouville, Persan et Ronquerolles qui, à tour de rôle, prennent à leur charge l’organisation de la cérémonie.

 

Avec la disparition progressive des maquisards survivants, qui apportaient leur témoignage, les manifestations mémorielles en l’honneur des maquis ne consacrent plus que les victimes. Si la mémoire des maquis devient sélective, leur histoire ne doit pas l’être. La connaissance de cette dernière n’en est qu’à son commencement et ne doit pas se limiter aux seules commémorations.

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