Le maquis des Usages (Crisolles - Noyon)

par Jean-Yves Bonnard, mis à jour le 26 juillet 2025

L’histoire du maquis des usages fait partie intégrante de l’histoire de la Résistance dans le Noyonnais née dès la fin des combats de 1940. Le président des anciens combattants de Noyon, Marcel Fourrier (dit Foulon), s’était très tôt investi dans la récupération d’armes. Nettoyeur de tranchées durant la Grande Guerre, il organisa la résistance locale en 1940 avec d’autres patriotes tels André Dumontois ou Louis Brunet (dit Baudon).

C’est tout naturellement vers lui que le maire de Crisolles, Marcel Poulin, se tourna lorsqu’un habitant du hameau de Rimbercourt signala en mairie la présence d’un dépôt de 469 grenades F1 abandonnées dans la cave de sa maison par l’armée française en 1940. Fourrier, Dumontois et leurs fils se chargèrent de cette mission de récupération et le stock d’armes alimenta la résistance.

A Crisolles même, un groupe dépendant de Noyon fut constitué autour du garde-chasse Gaston Devulder, demeurant non loin de là, dans une maison en bordure de la route de Guiscard.

Les maquis de l'Oise.

La Résistance à Crisolles

Plusieurs employés de la société sucrière Poulin participèrent à des actions de résistance dont le directeur des fermes Marcel Janssen (dit Lambert) et son surveillant de culture André Naudin. Ainsi, les groupes de Crisolles et de Tarlefesse prirent part au premier parachutage opéré à Rimbercourt le 20 juin 1943, sous la conduite de Roland Delnef (dit Joseph), responsable départemental du BOA et de l’OCM.

Comme beaucoup de fermiers, Marcel Poulin employa et cacha des jeunes requis pour le Service du Travail Obligatoire (STO) et des réfugiés, comme en témoigne André Naudin dans son Histoire du Maquis du Noyonnais et de la Commune de Crisolles : « De juin 1943 à août 1944, j’ai reçu à la ferme une quarantaine de réfractaires et trois Yougoslaves, évadés d’un camp de prisonniers en France ».

Marcel Poulin sut aussi protéger sa population lors d’événements inattendus. Ce fut le cas le 8 février 1944 lorsqu’un aviateur abattu sauta au-dessus de sa commune. Arrivé sur les lieux d’atterrissage le premier, André Naudin fut rejoint par deux autres habitants pour prendre en charge le parachutiste. Il se souvient : « Ensuite arrive Marcel Poulin, notre employeur et maire de la commune de Crisolles, il nous dit : « surtout personne n’a rien vu, je vais déposer le parachute à la mairie et avertir la kommandantur leur signaler que c’est en venant à la mairie que j’ai aperçu le parachute dans la pâture ». Il faut faire vite, nous risquons d’être surpris par les Allemands qui sont toujours à l’affût. Nous pouvons être embarqués tous les trois pour avoir porté secours à l’aviateur américain, ce qui était proscrit (…) Environ dix minutes après, nous entendons des motos, side-cars, autos qui passent sur la route devant le bistrot. Les Allemands se dirigent vers la mairie où M. Poulin les attendait. (…) En passant devant la mairie, nous voyons deux officiers allemands qui en sortent avec le parachute. Ils rejoignent les soldats qui attendent dans leurs véhicules et sont tous partis rapidement ».

De par sa situation professionnelle, Marcel Poulin fut aussi un soutien logistique de la résistance locale et participa à des réunions à la maison du garde-chasse Gaston Devulder avec Marcel Fourrier, André Dumontois et Marcel Janssen.

Il fut aussi un soutien essentiel pour ses employés durant cette période de restriction, comme le rapporte André Naudin : « Environ tous les deux mois, aux fermes de la société A. Poulin et Fils, il y avait une distribution de blé moulu qui était tamisé pour récupérer la farine et faire du bon pain blanc, ainsi que des gâteaux qui étaient très appréciés. Il y avait aussi la distribution de sucre, d’huile de colza ou d’œillette. Tous les ouvriers et ouvrières des fermes A. Poulin et Fils peuvent leur dire un grand merci ! »

Marcel Fourrier, président des anciens combattants de Noyon.

Marcel Poulin, maire de Crisolles.

La formation du maquis

Lorsque, le 6 juin 1944, les Alliés débarquèrent en Normandie, un maquis fut constitué. Environ deux cents résistants du Noyonnais se regroupèrent dans les bois de Crisolles pour y attendre les ordres. Là, dans la forêt, au lieu-dit Les Usages, un pavillon de chasse propriété de la famille Menget de Babœuf servait de base d’entraînement au maniement des armes et d’instruction au sabotage. Le garde-chasse, Gaston Devulder, sous couvert de sa fonction, en interdisait l’accès à tout inconnu, garantissant ainsi la discrétion requise aux actions de résistance.

Marcel Fourrier, chef de sous-secteur de l’Organisation Civile et Militaire, prit le commandement de ce groupe. Conscient de l’inefficacité d’une levée en masse et dans l’incapacité de pourvoir au ravitaillement en armes et en nourritures d’autant d’hommes, il décida de renvoyer les volontaires dans leurs foyers, ne gardant qu’un noyau de résistants en permanence sur le site, de même que les hommes entrés en clandestinité dans ces bois, dont des expatriés yougoslaves (Moma Popovic, Yarcko et Radouane) et des réfractaires au Service du Travail Obligatoire.

Jusque-là chargé de diffusion de propagande, de ravitaillement, de récupération des parachutages, de liaison et de transport des armes, le sous-secteur Noyon se vit confier des tâches de désorganisation des communications ennemies, de sabotages voire de harcèlement. Avec l’avancée alliée, l’équipe de Noyon intensifia ses actions. Le câble souterrain Paris-Lille longeant la RN 36 fut ainsi coupé par neuf fois, les fils et les poteaux de la ligne aérienne Paris-Berlin furent arrachés par deux fois sur le plateau de Nampcel, tandis que le poste de radio repérage d’Autrecourt était détruit par la pose de charges explosives et incendiaires.

Cette montée en puissance de la résistance noyonnaise conduisit l’occupant à accentuer ses recherches et mener une contre-attaque. Le hasard lui vint en aide. Le 22 juin, au cours d’une chasse aux sangliers, des Allemands arrêtèrent le jeune Liébaud de Salency lequel allait ravitailler le maquis. Capturé, emmené à Compiègne, il parla sous la torture. Le lendemain, 23 juin, la police allemande de Compiègne assistée de feldgendarmes se rendit sur les lieux et, guidée par son otage, assiégea le pavillon de chasse.


Gaston Devulder, garde-chasse.

Michel Depierre en 1946.

L’attaque du maquis (23 juin 1944)

Attablés devant le pavillon, Marcel Fourrier et son fils Daniel, ainsi que Gaston Devulder et son fils Marcel, travaillaient à la coordination des sabotages sur le réseau SNCF avec le capitaine Etienne Dromas, chef du sous-secteur de Chauny (Aisne), accompagné de agent de liaison Maurice Moreau. Inquiet de la disparition subite de son agent de liaison, le commandant Fourrier avait placé Maurice Bertrand comme sentinelle sur le chemin principal.

A l’intérieur du pavillon, Lucien Roos, Michel Carreau, Henri Bulcourt, Moma Popovic, Michel Depierre et Michel Bouquet nettoyaient des armes tandis qu’Alfred Coffinier cuisinait le repas du soir. Octave Poette, M. Moreira et Robert Dannequin se trouvaient alors dans la cave.

Vers 17 heures, tandis que des bûcherons complices des résistants tentaient de les avertir en frappant les arbres à grands coups de haches, une trentaine d’Allemands gravirent la pente à travers bois. Soudain, le commandant de la police allemande de Compiègne, habillé en civil, hurla « haut les mains » et tira de sa mitraillette sur les maquisards attablés, tuant Maurice Moreau, blessant mortellement Gaston Devulder et blessant grièvement Marcel et Daniel Fourrier ainsi que Marcel Devulder.

Depuis le chalet, Alfred Coffinier répliqua, tuant l’agresseur et un feldgendarme. Dès lors, un combat d’une quarantaine de minutes opposa les Allemands encerclant le pavillon aux résistants retranchés à l’intérieur. Marcel Fourrier et Etienne Dromas parvinrent à quitter les lieux.

Surpris par la puissance de feu de leurs adversaires leur affligeant de sérieuses pertes (dix hommes furent tués ou blessés), les Allemands rompirent le combat. Au dernier coup de feu, Liébaud parvenu à s’échapper de ses tortionnaires rejoignit les résistants.

Les maquisards se dispersèrent aidés par d’autres résistants avertis de l’échauffourée, lesquels les cachèrent et les soignèrent. Ils purent ainsi échapper au retour en force des Allemands peu de temps après.  

Etienne Dromas.

Maurice Moreau, alias Jules.

La répression allemande

Le lendemain, 24 juin, les Allemands revinrent au maquis et investirent les lieux. Le corps sans vie de Gaston Devulder put être identifié et, tandis que le pavillon était dynamité, la maison du garde-chasse abandonnée à la hâte par sa famille fut mise à sac et incendiée par mesures de représailles.

Peu après la sirène de la sucrerie de Crisolles retentit. Marcel Poulin appela des employés pour tirer la pompe à incendie et les accompagna jusqu’au lieu du sinistre.

André Naudin fit le récit de cet épisode : « Quand nous fûmes arrivés à une quarantaine de mètres de la maison incendiée, deux officiers allemands s’avancèrent vers nous, en effectuant de grands gestes et en criant « Raouss, Raouss ! » Ils étaient accompagnés de deux gendarmes français. Les deux officiers font demi-tour, pour rejoindre les autres soldats qui regardaient brûler la maison. M. Marcel Poulin protestait, il n’admettait pas que les Allemands incendient une maison de sa commune. Dès que les deux gendarmes ont rejoint M. Marcel Poulin, ils lui disent de ne pas insister, sinon cela risquait de tourner au tragique pour nous ».

Le réseau OCM de Noyon était ébranlé. Son chef, le commandant Fourrier, grièvement blessé, entra dans la clandestinité et fut remplacé temporairement par Marcel Janssen.

Le Maquis des Usages se situant sur le territoire de Crisolles, Marcel Poulin avait tout à craindre de représailles mais résolut de demeurer à son poste : « En juin 44, écrivit le comte de Grammont, la surveillance se resserrait autour de lui. Il aurait encore pu fuir, il ne l’a pas voulu – c’eut été déserter : le pays comptait sur lui. Il voulut rester à son poste jusqu’au bout ».

Ce sens aigu du devoir, semblable à celui de son père durant la Grande Guerre, fut confirmé par le témoignage de René Desmazure : « Le Maquis du Bois de Crisolles vient d’être découvert. La nouvelle de cette escarmouche où sont tombés le garde Devulder et un de ses compagnons, sème une certaine panique dans la population. Je vais aussitôt à la mairie le trouver pour lui rendre compte de ce qui se passe. « Mais non, s’écrie-t-il que l’on ne se sauve pas, si les boches le voient on va s’avouer coupables ». Et il ajoute : « Quant à moi, il arrivera ce qu’il arrivera, mon devoir est de rester là, je reste ici, j’attends les boches ». Les boches ne sont pas venus, ils ont préféré attendre et le prendre en traître, comme cela est dans leurs mœurs et leurs habitudes. C’est le samedi 1er juillet, à 5h ½ du matin, qu’ils viennent l’arrêter ».


Confrontés au silence de la population, les Allemands procédèrent à des arrestations sommaires. Le 1er juillet, la police allemande opéra une rafle sur Salency où 35 hommes furent arrêtés puis incarcérés dans la prison de Compiègne. Ce même jour, les Allemands arrêtèrent à Noyon le Dr Roos et à Crisolles Gaston Lagant et Marcel Poulin. Neuf jours plus tard, ce fut le tour du maire de Salency, Médard Doré.

L’arrestation le 10 juillet d’Adrien Souris, jusque-là résistant OCM, précipita le démantèlement de la résistance du sous-secteur de Noyon. Probablement acheté par l’occupant, il trahit l’ensemble du réseau noyonnais allant jusqu’à participer activement aux arrestations et aux interrogatoires… Plusieurs membres de la résistance noyonnaise furent capturés notamment Norbert Hilger et son fils (16 juillet), Joseph Charles (17 juillet), André et Max Brézillon, René Philippon (18 juillet), Régis Pons et Michel Depierre (20 juillet), Gilbert Bleuse (22 juillet), Jules Mercier (4 août). Le traître fut aussi à l’origine de la rafle de Caisnes (26 juillet) au cours de laquelle 26 personnes furent arrêtées, essentiellement des réfractaires au STO et des expatriés. Recherché par les résistants noyonnais, le traître Souris fut capturé, interrogé et exécuté dans les carrières de Dreslincourt le 18 août 1944.

Tous furent regroupés à la prison de Compiègne puis au camp de Royallieu où ils furent détenus avant d’être déportés.

Cette vague d’arrestations eut pour effet de freiner l’action de la résistance autour de Noyon mais ne put enrayer la progression des forces alliées qui libérèrent Noyon dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944.

La maison des Devulder incendiée.

Intérieur de la maison des Devulder incendiée.

Le chalet des Usages détruit à l'explosif.

Le chalet des Usages en ruines.

Les monuments commémoratifs

La mémoire du Maquis des Usages est ravivée chaque année lors de la cérémonie organisée le dimanche le plus proche de la date de l’attaque. Après le discours d’un résistant suivi d’un dépôt de gerbe de fleurs au monument dressé sur l’emplacement du chalet, un hommage particulier est rendu aux deux résistants tués par la lecture de la plaque apposée sur la maison du garde-forestier.

Si la commune de Crisolles a tenu à rendre hommage à ses enfants morts durant la guerre, notamment en apposant leur nom sur le monument aux morts et sur des plaques de rue, elle rendit un hommage appuyé à Marcel Poulin en érigeant sur la place de la Mairie une stèle sur laquelle fut apposée une sculpture en bronze représentant son portrait de profil.

Œuvre de l’architecte F. Riehl et du sculpteur Maurice Prost, cette stèle fut inaugurée le 19 septembre 1948 par le préfet de l’Oise en présence du ministre André Marie, ancien détenu à Compiègne et déporté à Buchenwald.

A Beauvais, le nom de Marcel Poulin est inscrit sur une plaque scellée dans le hall du conseil général de l’Oise au côté de ceux des élus tués lors de la Seconde Guerre mondiale.



Plaque sur la maison des Devulder.

Monument à Marcel Poulin, à Crisolles.

Lucien Ross lors des cérémonies aux Usages de 2009.

Plaque commémorative dans l'hôtel du département de l'Oise à Beauvais.

Sources

HALLADE Jacques, La Résistance était au rendez-vous, 1970, 128p.

NAUDIN André, Histoire du maquis du Noyonnais et de la commune de Crisolles (1942-1945), 1997.