Les agriculteurs
par Françoise Rosenzweig-Leclère

Après la guerre, ils ont été considérés comme les grands gagnants de la période. Flattés par les discours du régime de Vichy (« la terre ne ment pas », propagande en faveur du retour à la terre), bénéficiaires du marché noir, les agriculteurs ont été accusés d’avoir rempli de billets des lessiveuses entières. Cette vision caricaturale demande à être sérieusement nuancée.

Les agriculteurs de l’Oise en 1940
L’Oise est, en 1940, l’un des départements agricoles les plus riches de France. L’agriculture emploie 30 % de la population active sur 9 334 exploitations. On relève trois types de structure agraire :
La « grande culture » caractérisée par le même type de production (céréales, betteraves ou pommes de terre, fourrages artificiels, élevage secondaire), la taille des exploitations, très supérieure à la moyenne nationale (plus de 100 ha et souvent beaucoup plus), l’ampleur des moyens mis en œuvre et du capital mobilisé (Valois- Multien- plaine d’Estrées-Saint-Denis). Ces exploitations, confiées à des fermiers, sont souvent mécanisées tout en employant un personnel important d’ouvriers agricoles.
A l’opposé, les petites exploitations du Noyonnais ( 10 à 20 ha) se vouent à une polyculture traditionnelle sans grands profits tandis que le Clermontois pratique une culture maraîchère de plein champ.
Enfin le pays de Bray, à l’ouest du département, sur des exploitations de 20 à 40 ha, se concentre sur l’élevage laitier dont les produits alimentent le marché parisien.
Au terme des opérations militaires, 800 agriculteurs de l’Oise sont prisonniers en Allemagne.

Les agriculteurs face aux réquisitions
Les agriculteurs de l’Oise ont d’abord dû affronter les pillages de l’an 1940, exercés par l’occupant au gré de son bon plaisir : rapt d’animaux, enlèvement de fourrages, de matériel, de carburant, de stocks de céréales, utilisation de pâtures sans autorisation, le tout sans bons de réquisition ni dédommagement . Il n’est pas rare que des soldats allemands dépècent des animaux dans une cour de ferme et vident des coopératives ou des sucreries de leurs stocks de blé ou de sucre. Ce pillage cesse en 1941 mais les exploitants sont alors confrontés aux « impositions » ou réquisitions. L’agriculteur doit verser une partie de sa récolte au Ravitaillement général, qu’elle soit destinée aux autorités d’Occupation ou aux autorités françaises qui en redistribuent une part aux départements déficitaires. Paille, foin, avoine, viande, céréales ou farine sont réquisitionnés tout comme les voitures, attelages et charretiers. Les produits sont stockés dans les entrepôts des coopératives agricoles contre rétribution. Les prélèvements ne vont pas sans incidents (avril 1941) . Ils s’alourdissent à partir de 1942. Leur éventail s’élargit (beurre, fromage, œufs, pommes de terre) et les transferts vers l’Allemagne s’accélèrent.
La vente à la ferme est théoriquement interdite et le prix d’achat des produits agricoles est imposé par l’autorité préfectorale : c’est la taxe toujours trop basse au gré des producteurs d’où une fuite des produits de l’Oise vers la capitale.

Les agriculteurs face aux pénuries
Les pénuries touchent les exploitants à la fois comme individus et comme producteurs :
- Les pénuries qui touchent les ruraux ne sont pas d’ordre alimentaire. Elles concernent les produits manufacturés (chaussures, vêtements, produits d’hygiène et les services médicaux).
- Les pénuries professionnelles sont multiples : manque d’engrais, de produits phytosanitaires, de ficelle-lieuse. Faute de carburant, le matériel mécanique devient inutilisable. Les moyens de transport (wagons, camions) sont insuffisants et gênent l’écoulement des produits. Jusqu’à la mi-1942, les exploitants manquent de main-d’œuvre. Les rendements diminuent, d’autant que les hivers de la guerre ont été particulièrement rigoureux.
Enfin la répartition des moyens favorise les grosses exploitations au détriment des petits et moyens agriculteurs.

La réquisition des hommes
Si la loi du 4 septembre 1942 ne s’appliquait pas aux agriculteurs, il en va autrement de la loi imposant le STO qui concerne aussi les jeunes ruraux. Théoriquement ils sont exemptés du STO (circulaire du 20 février 1943), mais il fallait avoir travaillé deux ans sur une exploitation pour échapper à la réquisition et, à l’automne 1943, les hommes de huit cantons limitrophes de la Somme sont requis pour aller travailler sur des chantiers côtiers, près d’Eu et de Gamaches. Bien des ruraux ont été également requis pour les services de surveillance ( voies ferrées, dépôts divers, bacs à alcool etc…). Au printemps 1944, les autorités d’Occupation convoquent la population masculine des villages pour planter des pieux dans les champs et empêcher tout atterrissage.
Et pourtant un renouveau démographique se produit dans les campagnes. Les communes rurales de l’arrondissement de Beauvais accusent, de 1942 à 1944, une nette reprise de la natalité, signe avant-coureur d’un phénomène qui se développe après la guerre.

Nombre de naissances
1942 : 1331
1943 : 1595
1944 : 1715

Si le Bulletin de la société des agriculteurs de l’Oise devenu L'Oise agricole porte en exergue des extraits de discours d’Hitler, un certain nombre d’agriculteurs ont choisi de rejoindre la Résistance.
Leur participation à la lutte est probablement sous-estimée. Certains ont caché des aviateurs alliés, fourni du ravitaillement et des terrains d’atterrissage. Dans chaque réseau, lors des arrestations, on trouve un ou deux agriculteurs, ce sont ceux qui ont fourni ces terrains (CND, Prosper).
Parmi les déportés oisiens, on recense une trentaine d'agriculteurs. Il est impossible pour beaucoup de connaître le réseau ou le mouvement auquel ils appartiennent, en effet ils ont souvent été arrêtés pour venir en aide aux réfractaires ou aux clandestins.
On compte plus d’une vingtaine d’agriculteurs résistants dans l’Oise, dont l’un a été fait Compagnon de la Libération (Arnaud Bisson). On les rencontre dans toutes les organisations. L'un des dirigeants du Front national (FN), Norbert Hilger, est un petit cultivateur.

Sources :
Rosenzweig-Leclère Françoise, L'Oise allemande (25 juin 1940- 2 septembre 1944), impact économique et social sur le département, Thèse de doctorat, Thèse de doctorat, Université Paris 8, 2002, 374p.