Socio_Enseignants

L’école et la Résistance dans l’Oise

par Françoise Rosenzweig-Leclère

 

Depuis la fin du 18e siècle, notamment en France, l’instruction est un enjeu que se disputent âprement l’Eglise et les forces progressistes. Avec la victoire du régime républicain, l’école est devenue obligatoire et donc gratuite, laïque et ouverte à tous. Les Ecoles Normales forment les instituteurs et les institutrices chargés d’instruire des enfants destinés à devenir de futurs citoyens et de bons patriotes capables de mettre en œuvre la Revanche (sur la défaite de 1870). Ce sont les « Hussards noirs » de la République.

Les effets de la Première Guerre mondiale remettent en cause ce système et l’on voit se développer dans les années 1920-1930 des pédagogies alternatives d’inspiration libertaire qui mettent l’accent sur l’esprit d’initiative et la créativité des enfants (école Decroly – école moderne de Célestin Freinet). C’est aussi dans l’entre-deux guerre que se développe dans le corps enseignant un courant pacifiste qui s’exprime dans les organismes syndicaux récemment créés. Le syndicat national des instituteurs apparaît en 1920. Les conséquences de la défaite militaire de 1940 bouleversent les écoles de l’Oise désormais désorganisées. 387 instituteurs sont mobilisés et 200, faits prisonniers, sont transférés en Allemagne. Les écoles de l’Oise deviennent une cible matérielle pour l’occupant et une cible idéologique pour le gouvernement de Vichy et plus particulièrement pour le chef de l’Etat Français, Philippe Pétain.

L’école comme cible

Pour l’occupant, les écoles de l’Oise offrent des locaux qui peuvent héberger les troupes d’occupation comme l’école Paul Bert à Nogent-sur-Oise, l’école nationale professionnelle de filles à Creil, tout comme le lycée Félix Faure à Beauvais qui devient un Foyer du Soldat. L’Ecole Normale de filles est réquisitionnée, tout comme le Lycée Jeanne Hachette. En octobre 1940, le Préfet précise qu’à Montataire, des contingents de la Luftwaffe ont exigé d’occuper la totalité des écoles. 1530 enfants se retrouvent à la rue. Dans tout le département, les écoles sont réquisitionnées (Méru, Hermes, Lormaison, Verberie, Ons-en-Bray, etc…).

Pour le gouvernement de Vichy, et pour Philippe Pétain en particulier, l’école de la République (la Gueuse), et notamment ses instituteurs, comptent parmi les responsables de la défaite. Ils n’ont pas su former les futurs bons soldats faute d’avoir enseigné aux enfants l’ordre, l’obéissance et le respect de la hiérarchie. La Révolution Nationale exige une école qui enseigne la discipline et le respect des chefs. En septembre 1940, les Ecoles Normales sont fermées. Le lycée redevient payant. Les programmes sont révisés, les cours de morale imposés. Le portrait du Maréchal Pétain doit être affiché dans les classes : il est présenté à la fois comme un père et un chef.

 

La répression à l’école

Dans l’Oise, les nouvelles orientations de la politique scolaire se traduisent d’abord par une épuration du corps enseignant. Le 23 novembre 1940, La République de l’Oise annonce la révocation de Jeanne Léveillé, institutrice à Thiescourt, et de Félix Cattoire, instituteur à Longueil-Sainte-Marie. Ils sont sanctionnés pour leurs engagements ou leur prise de position antérieure, notamment au parti communiste. Le 28 novembre 1940, c’est au tour de Maurice Dommanget, Pierre Vaquez, Jean Carlier, Edmond Léveillé, tous militants du syndicat national des instituteurs (dissous en 1940). En janvier 1941, Berthe Fouchère, institutrice à Thury-sous-Clermont, militante socialiste et féministe, est mutée en Bretagne, dans le Finistère. En juillet 1941, René Cance, instituteur qui avait déjà été muté à Evricourt dans l’Oise, est révoqué tandis que Jean Augey, militant dans l’ex-SNI, est arrêté : on lui reproche un voyage en URSS exécuté avant-guerre. Au quotidien, les injonctions maréchalistes se heurtent à une certaine résistance passive. L’une d’elles concernait l’affichage dans les classes d’un portrait du chef de l’Etat Français. Selon les témoignages de nombreux enseignants de l’époque, bizarrement ce portrait était relégué dans le placard à balais ou affichés la tête en bas, faute de punaises. Au demeurant, le portrait du Maréchal ne pouvait conjurer les maux dont souffraient les enfants, ces maux qui ne feront que s’accentuer au fil des années d’occupation : le froid, faute de chauffage, alors que les hivers sont particulièrement rudes, les pénuries alimentaires très sensibles en ville, le problème lancinant des chaussures et les pénuries de textiles.


L’engagement dans la Résistance active

Il faut noter d’emblée que cinq responsables essentiels de la Résistance dans l’Oise relèvent du monde de l’enseignement : trois professeurs, un instituteur et une institutrice à la tête d’un réseau.

Le 11 novembre 1940, en écho à la manifestation parisienne, le principal du collège de Compiègne et plusieurs de ses élèves sont internés quelques heures pour avoir déposé une gerbe au monument aux morts de leur établissement et avoir, pour certains, jeté des immortelles au carrefour de l’Armistice désaffecté.

Fin 1940 – début 1941, deux professeurs de l’Ecole Normale professionnelle de garçons de Creil, Roland Delnef, professeur de mathématiques, et Marcel Sailly, professeur de physique, officier de réserve et membre du réseau Prosper, déjà engagés dans des réseaux de renseignements, nouent des contacts avec Arnaud Bisson, à Beauvais, et Georges Fleury, à Clermont : c’est l’embryon d’un groupe "Armée secrète" qui deviendra l’OCM, Organisation civile et militaire, bientôt rejointe par de petits noyaux autonomes de Mouy avec Robert Robillard, Méru (avec Julien Lévêque) et Senlis (avec l’Abbé Amyot d’Inville). En octobre 1942, Roland Delnef devient responsable du BOA, il est arrêté le 20 janvier 1944, transféré à Royalieu, puis à Buchenwald. Il est libéré le 12 avril 1945 et il meurt à Paris en 1990. Marcel Sailly est arrêté en juin 1943, transféré à Royalieu, puis à Buchenwald. Il est mort en 1983. Edmond Léveillé, instituteur à Compiègne, Nogent, puis Thiescourt, prisonnier évadé, rejoint l’Oise où il obtient un poste à Gouvieux. Depuis l’Ecole Normale, il anime le groupe des jeunes communistes dans le département. Mis d’office à la retraite en novembre 1940, il ne cesse de militer et sous l’impulsion du député communiste Jean Catelas, a mis sur pieds le Secours Populaire dans l’Oise chargé de soutenir les familles de prisonniers ou d’arrêtés. Il noue ainsi des contacts qui lui permettent en 1941 d’organiser le Front national dans le département de l’Oise. Le Front national est un mouvement lancé par le Parti communiste français en mai 1941 en vue de créer un vaste rassemblement patriotique ouvert aux non communistes. Edmond Léveillé est aussi le fondateur du « Patriote de l’Oise ». C’est lui qui représente le Parti communiste de l’Oise dans toutes les rencontres avec les autres organisations de la Résistance dans l’Oise, qui aboutissent en novembre 1943 à la création du Comité départemental de libération (CDL). Au début de 1944, il devient responsable de l’action dans plusieurs départements et fait appel à un autre instituteur, Pierre Auzy, pour le suppléer dans l’Oise. Pierre Auzy était en poste à Blaincourt-les-Précy et devient président du CDL. C’est un autre enseignant, professeur d’anglais à l’origine, député maire de Creil depuis 1936, Jean Biondi, militant SFIO, qui, après avoir refusé de voter les pleins pouvoirs dévolus au Maréchal Pétain a créé Libé-Nord dans l’Oise. Il recrute dans son entourage d’autres résistants : Marcel Mérigonde, instituteur dans le Noyonnais, Georges et Madeleine Blin, instituteurs à Méry-la-Bataille, Yves Leclère, en poste au cours complémentaire de Creil (Yves Leclère fera partie d’une équipe Jedburgh), Madame Courseaux, directrice de l’Ecole Nationale confessionnelle de filles. Déchu de son mandat de maire en avril 1941, il entre dans la clandestinité et devient responsable du réseau Brutus avant d’assumer la direction de Libé-Nord dans le département. Il est arrêté une première fois en septembre 1942, puis relâché. En janvier 1944, il est chargé de la liaison entre l’organisme central et les départements. Il est de nouveau arrêté, transféré à Royalieu, puis à Mauthausen et Ebensee jusqu’en mai 1945. En mai 1943, il avait pris la décision avec Marcel Mérigonde de créer des groupes d’action Libé-Nord engagés dans la lutte armée (sabotages, maquis). Enfin, Simone Hainault, institutrice à Creil, adhère en 1943 au réseau Zéro-France, d’abord réseau d’évasions, devenu réseau de renseignements. Elle tape les courriers et assure leur transmission à Paris et à Londres. En mars 1944, elle remplace un responsable arrêté et assume la direction du sous réseau nord qui couvre une vaste part de l’Hexagone. A cette époque, les instituteurs assuraient le plus souvent les tâches de secrétaires de mairie. A ce titre, ils étaient responsables de la délivrance de tickets d’alimentation et de papiers d’état civil (la carte d’identité devient obligatoire sous l’Occupation). Certains de ces enseignants secrétaires de mairie acceptent de fabriquer et d’écouler de faux papiers : c’est le cas d’André Raffoux, instituteur à Laberlière et membre de Libé-Nord, arrêté dans sa classe le 26 novembre 1943, torturé, transféré à Mauthausen, rapatrié en mai 1945 dans un état d’extrême faiblesse, et d’Yves Maréchal, instituteur à Bacouel, arrêté en août 1944, déporté en Allemagne, où il meurt le 17 avril 1945. D’autres enseignants se sont engagés dans la Résistance comme Henri Maigret dans la région d’Auneuil. Si le milieu enseignant a si souvent fourni des cadres à la Résistance dans l’Oise, c’est que nombre d’entre eux suivaient au cours de leur service militaire une formation d’élèves officiers de réserve (EOR). Cette formation leur conférait le grade de sous-lieutenant. Tandis que la Résistance se structure et s’organise davantage en 1943, le mouvement syndical ressurgit grâce à des militants de l’ex-SNI. François Taupinard, instituteur à Fresne-Léguillon, et André Lerminier, également instituteur, font paraître clandestinement L’Oise laïque, organe du Front national, universitaire, créé dans le département par Edmond Léveillé. En février 1944, François Taupinard est à l’origine d’un Bulletin syndical des instituteurs, clandestin lui aussi. La répression allemande s’intensifie. En février 1944, Georges Blin avait été arrêté, en avril 1944, c’est au tour d’Edmond Léveillé, puis Marcel Mérigonde en mai 1944, tandis qu’un élève instituteur au collège de garçons de Compiègne, Marcel Colotte, est arrêté. Lorsque s’opère la libération du département le 2 septembre 1944, l’école de la République a payé un lourd tribut à la Résistance : Edmond Léveillé est mort dans d’horribles conditions, Georges BLIN ne reviendra pas, ni Yves Maréchal, ni les étudiants du Bataillon de France.

 

L’Ecole, la Résistance et la Libération

Tout au long des années d’occupation, les différentes organisations de la Résistance n’ont cessé de réfléchir à la réforme d’un système scolaire jugé plus ou moins responsable de la défaite de 1940. Ces réflexions aboutissent à la formulation d’un plan, le Plan Langevin-Wallon, qui devait doter la France d’un grand système éducatif démocratique qui permettrait au pays de rattraper son retard dans la compétition avec les autres pays développés. Le plan prévoyait des effectifs allégés, des horaires adaptés au rythme biologique des enfants, la suppression des barrières entre les différentes filières, le recours aux « méthodes actives », etc… Dans les faits, ce grand projet réformateur s’essouffla très vite faute de moyens matériels et humains L’examen d’entrée en sixième fut maintenu et la ségrégation sociale perdura. Le rêve d’une école républicaine, égalitaire s’effaçait à mesure que les fraternités résistantes s’estompaient. La crise du système scolaire est toujours présente.

Marcel Sailly et Roland Delnef

Arnaud Bisson

Pierre Auzi

Marcel Mérigonde

Georges et Madeleine Blin


Les enseignants dans la Résistance
par Jean-Pierre Besse


C'est une des catégories sociales qui a fourni à la Résistance le plus grand nombre de participants, voire de cadres. Pas un réseau, pas un mouvement où n'apparaisse au plus haut niveau un instituteur, une institutrice ou un professeur. Sans oublier l'aide apportée par beaucoup d'entre eux ou elles, sans appartenance déclarée à un mouvement. Le rôle des secrétaires de mairie est primordial par l'aide appréciable qu'ils apportent pour la fabrication ou la fourniture des faux papiers ou des faux certificats en tous genres. Certains paient de leur vie cette aide (Yves Maréchal). La liste qui suit ne donne qu'un aperçu, elle ne peut être exhaustive.

Les professeurs
Ils sont surtout nombreux à l'OCM. Roland Delnef et Marcel Sailly fondent ce mouvement. Marie-Joseph Monjauze et Emile Blondel, professeur de sciences au collège, à Clermont, en sont membres. Jean Biondi est le fondateur de Libé-Nord. André Leriche, professeur technique, et Henri de Ridder sur Beauvais, Paulette Courseaux, la directrice de l'Ecole nationale professionnelle de jeunes filles sur Creil, participent aux activités du mouvement. Le Front national recrute surtout dans ce milieu à Beauvais (Louis Fauroux, professeur de lettres modernes, Garbarini).

Les instituteurs
Fondateur du Front national, Edmond Léveillé implante ce mouvement en contactant systématiquement ses anciens camarades de l'Ecole normale. Les instituteurs sont donc très nombreux au Front national : Pierre Auzi, Jean Denaux, Jean Dhoury, Jean Dupuy, Roger Floury, André Folliot, Désiré Létolle, Robert Petillot, Edouard Thiesnard, sans oublier Jeanne Léveillé.
Les instituteurs sont aussi nombreux à Libé-Nord : Georges et Madeleine Blin, Jacques Courseaux, Gilbert Garnier, Gilbert Lefèvre, Marcel Mérigonde, Hubert Michel, Louis Morelle, André Raffoux.
Ils sont moins nombreux à l'OCM : Daniel Blanchet et Gaston Poussot (passé ensuite à Libé-Nord).
Citons aussi Nicot au Bataillon de France, Pierre Pichot à Résistance, Albert Mora et Ernest Véry à VOP.

Dans les réseaux, c'est Yves Leclère (aussi à Libé-Nord) et Simone Hainault à Zéro-France, Henri Maigret à Alsace-Shelburn qui jouent un rôle important.
Sans oublier ceux qui gagnent la France libre (Jean Lecercle) et ceux qui ont reconstitué et fait vivre le syndicat : François Taupinard et André Lermillier.

Au total, cinq professeurs et onze instituteurs ont été déportés, la moitié est revenue.


Sources :
Archives Jean-Pierre Besse, publication, presse locale, documents remis par des résistants.
Jean Dupuy, Instituteur à Wavignies, membre du comité directeur du Front national, arrêté en juillet 1944, mort à Buchenwald, Collection Jean-Pierre Besse.
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